Captation TV du débat pour le second tour de la présidentielle 2017 entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Paris le 3 mai 2017 - 2017©Jean-Claude Coutausse / french-politics pour Le Monde | JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"

Editorial du « Monde ». Dans trois jours, les Français éliront le prochain président de la République. Ils étaient en droit d’attendre des deux candidats en lice, mercredi 3 mai, un débat approfondi qui les éclaire, avant de faire leur choix, sur leur personnalité, sur la solidité de leur projet et sur leur capacité à tracer l’avenir de la cinquième puissance mondiale. Ils n’ont eu droit – et la responsabilité en incombe à la candidate du Front national – qu’à un face-à-face confus, accablant et indigne. Mais on veut croire qu’ils auront obtenu les réponses qu’ils attendaient.

A ceux qui pouvaient l’avoir oublié, ce pugilat a rappelé crûment ce qu’est l’extrême droite française. A ceux qui font mine de ne plus savoir établir de hiérarchie entre les périls, ce spectacle navrant a désigné le plus grand de tous les dangers : l’irruption, au cœur de la démocratie française, de la brutalité et de la duplicité de la tradition politique, et familiale, qu’incarne Marine Le Pen.

Le débat d’entre-deux-tours n’est certes pas inscrit dans notre Constitution. Il est le résultat d’un accord, renouvelé à chaque élection, entre candidats qui acceptent de jouer le même jeu, qui se plient à des règles communes. Jusqu’ici, l’extrême droite en avait été écartée par son score, ou par la répugnance de Jacques Chirac à argumenter face à Jean-Marie Le Pen en 2002. Son irruption sur cette scène n’en est que plus glaçante.

En violant tous les usages de cette confrontation, en méprisant jusqu’à l’exigence de sincérité, Marine Le Pen a dévoilé ce que serait sa pratique du pouvoir, si par malheur, elle était amenée à l’exercer. Son but n’est pas d’échanger, mais d’abaisser. Sa stratégie n’est nullement de convaincre, mais de nuire. Son projet n’est qu’une entreprise de démolition.

En choisissant d’emblée d’engager une bataille de chiffonniers, en maniant sans cesse l’invective, voire l’injure, l’agressivité faussement souriante et réellement grinçante, Marine Le Pen a ainsi montré son vrai visage. Elle se disait la candidate de la « France apaisée ». Elle est apparue comme l’héritière d’une pratique politique qui a toujours reposé sur le dénigrement et la menace. L’émule, en outre, d’un Donald Trump, multipliant comme le président américain, les insinuations mensongères. La digne championne, enfin, d’un extrémisme prêt à profiter de toutes les peurs, à creuser toutes les fractures et à attiser tous les fantasmes.

Ces angoisses sont réelles, il convient de les prendre au sérieux et de ne pas les traiter avec le cynisme dont vient de faire preuve Marine Le Pen. Ce sera l’enjeu majeur du quinquennat qui s’ouvre. Pour chaque acteur de la nouvelle vie politique que redessineront cette présidentielle et les élections législatives en juin, il faudra enfin se montrer aussi dur avec les causes qui ont fait monter le FN qu’avec ce parti lui-même, dont la candidate vient d’exposer les insignes faiblesses.

Sur le projet, et en particulier sur le terrain économique, fiscal et budgétaire, le contraste a ainsi été saisissant. La candidate du Front national s’est contentée de lancer en l’air des promesses faramineuses sans convaincre à aucun moment que leur faisabilité était réelle et leur financement assuré.

De même sur la capacité à diriger, demain, un pays comme la France. C’est, au fond, la fonction ultime et essentielle d’un tel débat : prouver aux Français que l’on a l’étoffe d’être leur président. A 39 ans, surgi au premier plan depuis quelques mois seulement, Emmanuel Macron n’a certainement pas levé toutes les interrogations à cet égard. Mais la présidente du Front national, pour sa part, a démontré qu’elle n’en avait aucune des qualités. Son rapport à la réalité des plus flous, son rapport à l’exactitude pour le moins approximatif, son rapport à la vérité toujours manipulatoire dressent contre elle, sur ce plan, un réquisitoire sans appel.

Face à cette imposture, le premier des risques serait l’indifférence. Et la nécessité la plus urgente est d’écarter fermement Marine Le Pen de ce pouvoir qu’elle convoite et qu’elle dévoierait aussi sûrement qu’elle a fait dérailler le débat de mercredi soir. Pour préserver les conditions de ce débat républicain, il importe plus que jamais que tous les démocrates se mobilisent afin que la candidature FN ne soit pas crédibilisée par un bon score au second tour. Et pour cela, il n’existe qu’un moyen : voter ce dimanche en faveur d’Emmanuel Macron.