Nicolas Hulot, le 7 décembre 2015. | CC0 1.0

Le débat entre les deux finalistes de l’élection présidentielle a duré plus de trois heures, mercredi 3 mai. Mais à quatre jours du second tour, ni Emmanuel Macron ni Marine Le Pen n’ont eu un mot sur les enjeux environnementaux. Pour le militant écologiste, Nicolas Hulot, qui avait expliqué à la fin d’avril dans une tribune au Monde qu’il voterait Macron « par raison », c’est « affligeant », mais pas surprenant.

Quelle a été votre réaction hier soir à l’issue du débat ?

C’est assez affligeant. Moins de deux ans après l’accord de Paris et à quelques jours d’une probable sortie des Etats-Unis par Trump, on est frappé d’amnésie. C’est une indifférence, un manque d’attention partagé par une grande partie de la classe politique et médiatique. Les grands médias ont une approche toujours aussi indigente des questions environnementales. On n’a toujours pas compris que c’est un sujet conditionnel et pas optionnel. Que les promesses de campagne et les politiques des candidats seront remises en cause par la crise écologique et le changement climatique. Et que plutôt que de repartir avec un modèle périmé, il faudrait en profiter pour élaborer un modèle de sortie de crise.

Vous avez été surpris par cette absence totale des thèmes environnementaux ?

Le débat, je l’ai regardé, jusqu’au bout. Et je n’ai pas été surpris. Je ne m’attendais pas à assister à un échange fructueux sur les enjeux environnementaux. D’abord parce qu’aucune des questions n’a été orientée dans ce sens. Et pas seulement dans le débat de mercredi soir mais dans aucun des débats qui ont jalonné la campagne. Visiblement, le mot « environnement » ne fait définitivement pas partie du dictionnaire des journalistes.

Pas étonné ensuite, car le thème de l’environnement et de l’écologie est resté à la marge de toute la campagne, avec une petite exception lorsque Jean-Luc Mélenchon et Benoît Hamon (premier candidat socialiste à une présidentielle à prendre à bras-le-corps la question environnementale) étaient encore en course et ont permis de « déghettoïser » l’écologie.

Et le favori des sondages ?

J’ai reçu et lu la feuille qu’a envoyée Emmanuel Macron à tous les potentiels électeurs avant le vote de dimanche : il y a une ligne sur la transition écologique. On voit que ce n’est pas une priorité dans son programme, que cela reste une variable. Je ne dis pas qu’il n’y a rien dans le programme de M. Macron, mais s’il était aussi convaincu, il aurait eu plusieurs fois l’occasion de le mettre en lumière hier soir. Il ne l’a pas fait.

« L’écologie et le Front national, c’est un oxymore. L’écologie est incompatible avec la vision du monde de Marine Le Pen »

Le candidat Macron et son équipe ont visiblement pris conscience de ce raté. Jeudi matin, ils ont publié ce tweet : « On n’a pas évoqué beaucoup de sujets : l’écologie en fait partie. Il y a une vraie différence de vision. »

Ça a sauté aux yeux de tout le monde hier soir. L’écologie et le Front national, c’est un oxymore. L’écologie est incompatible avec la vision du monde de Marine Le Pen. D’abord parce que l’écologie est une exigence de solidarité qui ne peut être sélective et réservée à ceux qui nous ressemblent. D’un côté, avec Marine Le Pen, il n’y a pas d’issue ; de l’autre, avec Emmanuel Macron, on peut encore garder de l’espoir. Mais il faut une grande exigence.

Vous êtes inquiet pour le futur quinquennat ?

On va voir. Je ne veux pas faire de procès d’intention. Emmanuel Macron s’est entouré de personnes qui ont des compétences dans ce domaine, qui n’était pas, on l’a vu, l’argument le plus vendeur durant la campagne. On sera fixé dans les jours qui viennent en fonction de la structure du futur gouvernement. Le juge de paix, ce sera l’architecture gouvernementale. Est-ce que l’environnement sera une fois de plus un ministère parmi d’autres ? Est-ce que ce sera encore Bercy qui donnera le tempo ou une organisation qui permettra à l’écologie d’être le prisme par lequel sera définie la politique gouvernementale ?

Si Emmanuel Macron s’appuie sur les ONG comme s’il y est dit prêt ; s’il engage un Grenelle de l’alimentation, comme cela figure dans son programme ; s’il donne un vrai pouvoir politique au conseil économique et social, je suis prêt à corriger mon jugement.

Cela fait beaucoup de si…

Mon inquiétude vient du fait que l’on n’a pas été au bout de l’analyse critique du modèle économique dominant en Europe et dans le monde. Une mondialisation qui nous a échappé, qui épuise nos ressources, concentre les richesses et ne partage pas. Le personnel politique n’a pas profité de cette campagne pour prendre acte que ce modèle était à bout de souffle et qu’on ne pouvait pas s’en accommoder.

La principale critique formulée au candidat Macron est justement de très bien s’en accommoder ?

Lors de son meeting du 1er mai [à Marseille], il a été très prudent sur le CETA [accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada qui suscite de nombreuses craintes environnementales]. Le CETA, c’est un cas d’école, un marqueur du modèle économique dominant. L’échange que j’ai eu avec lui ne doit pas être totalement étranger à cette inflexion, qui est un pas important. Pour la première fois, Emmanuel Macron a reconnu que la colère de nombreux électeurs contre ce modèle était légitime. Il doit désormais en tenir compte.