Documentaire sur TV5 Monde à 21 heures

Hergé, à l’ombre de Tintin (extrait de « Hergé, à l’ombre de Tintin » de H. Nancy)

Hissée à des sommets inégalés par Hergé, la ligne claire ne saurait se résumer à un procédé graphique aux codes bien définis : contour d’épaisseur égale autour des personnages et des décors, absence d’ombres portées, couleurs en aplats…

Style et école à la fois, elle se caractérise également par une certaine limpidité dans la narration. Cette « clarté » affirmée, Hugues Nancy l’a faite sienne dans son documentaire consacré à la vie du créateur de Tintin, mort en 1983, à 75 ans.

Soigné, pour ne pas dire léché, Hergé à l’ombre de Tintin se regarde comme on lit un album du héros à la houppe, porté par un récit sans aspérité mais riche en découvertes (sauf pour les tintinophiles, qui n’y apprendront pas grand-chose).

Une œuvre « plus grande que lui »

Le réalisateur a opté, de fait, pour une chronologie classique qui voit son film commencer par l’enfance de Georges Remi (le véritable nom d’Hergé) et se terminer par ses dernières années. Coproduit par Moulinsart SA, la société anonyme chargée d’exploiter commercialement l’œuvre d’Hergé, le documentaire imbrique les grandes étapes de la vie de Tintin et celles de son créateur, même les plus troubles (sa compromission avec l’occupant pendant la guerre, son divorce…). Le premier ne fut finalement rien d’autre qu’une projection du second, comme l’explique une brochette d’experts – les « tintinologues » Philippe Goddin et Michael Farr, l’éditeur de Casterman Benoît Mouchart, les auteurs de BD François Schuiten et Joost Swarte, le sémiologue Pierre Fresnault-Deruelle… – qui apportent leur éclairage sur une œuvre à l’esthétique universelle.

Commenté par la voix juste du comédien Laurent Stocker, émaillé d’innombrables planches et dessins (dont certains ont été animés de manière inutile), le film vaut surtout pour les extraits d’interviews données par Hergé, notamment sur les sujets qui fâchent. L’homme y apparaît vulnérable et dépassé par une œuvre qui s’est avérée « plus grande que lui », comme le dit François Schuiten.

L’auteur de bande dessinée Georges Remi, dit Hergé, créateur du personnage de Tintin, lit les dernières aventures de son héros, « Tintin et le lac aux requins », le 7 décembre 1972. | STF/AFP

Interrogé sur la dimension colonialiste de Tintin au Congo (1931), Hergé fait ainsi son mea culpa en paraphrasant Monsieur Jourdain : « C’était du racisme mais sans le savoir. » Idem à propos du financier juif au nez crochu de L’Etoile mystérieuse, aventure publiée dans Le Soir entre 1941 et 1942 : « Je reconnais que le moment était très mal choisi pour faire une chose pareille. C’était l’époque où ont commencé les persécutions contre les juifs. A ma décharge, je dois dire que je ne les ai connues que très peu. On n’a vraiment compris l’horreur et l’ampleur de ce qui s’est passé qu’après la guerre. »

Si les albums de Tintin ont presque tous été passés et repassés à la moulinette de l’exégèse politique, les convictions personnelles d’Hergé, né dans un milieu catholique bruxellois dont il n’a cessé de vouloir s’extraire, restent un mystère. « J’avoue que je n’ai pas d’opinion politique, vraiment. Je pense à ce mot de Nietzsche : “Toute conviction est une prison.” Et je ne tiens pas à aller en prison », concède celui qui, quelques années avant sa mort, se caricaturait en bagnard aux cheveux blancs enchaîné à sa table à dessin. Comme embastillé par son propre personnage.

Hergé à l’ombre de Tintin, d’Hugues Nancy (France, 2016, 82 min).