De nombreuses rumeurs ont ciblé Emmanuel Macron sur les réseaux sociaux. Son équipe a fait de leur détection une composante à part entière de leur stratégie. | Francois Mori / AP

Les « fake news » (fausses nouvelles) – ces mensonges grossiers souvent déguisés en articles de presse, relayés dans un but partisan – n’ont pas eu, lors de la campagne présidentielle en France, le même écho que dans la campagne américaine. Pourtant, de nombreuses rumeurs ont émaillé la course à l’Elysée, les plus flagrantes et virales ciblant essentiellement Emmanuel Macron.

L’équipe de campagne d’En Marche ! a observé avec attention le déroulé de la campagne américaine, et a fait de l’anticipation sur les rumeurs propagées par Internet sur son candidat un élément de sa stratégie numérique.

Le mouvement de l’ancien ministre de l’économie ne dispose pas d’une cellule dédiée à ce sujet, mais toute l’équipe numérique – une quinzaine de personnes –, chargée entre autres de suivre le candidat au quotidien ou de poster sur ses différents comptes sur les réseaux sociaux, est mise à contribution pour suivre les discussions sur le candidat et repérer des rumeurs.

Cette équipe s’appuie également sur un logiciel de veille sur Twitter, Visibrain. Ce dernier surveille les discussions associées à un certain nombre de mots-clés liés à la campagne (« Macron », « En Marche ») et envoie une alerte si la discussion sur un sujet donné dépasse un certain seuil.

Par ailleurs, de nombreux sympathisants, sans être directement impliqués dans la campagne, font fréquemment « remonter » des rumeurs ou des discussions suspectes sur les réseaux sociaux, explique au Monde Mounir Mahjoubi, responsable de la campagne numérique.

Le candidat est lui-même une source d’information, explique M. Mahjoubi :

« Emmanuel Macron lit tous ses courriels, regarde Twitter lui-même, et me signale des choses régulièrement : il reçoit des boucles mails que je ne reçois pas. »
Faut-il réagir ? Si oui, quand et comment ?

Des sous-entendus de Marine Le Pen, lors du débat de l’entre-deux-tours, sur une possible société dans un paradis fiscal, au financement de sa campagne par l’Arabie saoudite, en passant par sa prétendue homosexualité... la nature et l’ampleur des rumeurs auxquelles a été confrontée l’équipe d’En Marche ! sont très variables.

Faut-il réagir ? Si oui, quand et comment ? Ce sont les questions qui se sont posées au sein de l’équipe de campagne à l’apparition de chaque nouvelle rumeur.

La plainte déposée par Emmanuel Macron pour « faux » et « propagation de fausse nouvelle », après la diffusion de l’information sur un prétendu compte dans un paradis fiscal, est une première. Jusqu’ici, la riposte était médiatique.

Parfois, c’est le candidat lui-même qui s’est exprimé : le 6 février, dans une salle de music-hall à Paris, il évoque directement et sur le mode de l’humour la rumeur qui lui prête une liaison avec le patron de Radio France, Mathieu Gallet.

« Quand vous regardiez les recherches faites sur Google, “Macron gay” ou “Macron Gallet” commençaient à se rapprocher de “Macron programme” ou “Macron économie”. Ce jour-là, il y a eu une concomitance entre l’activité des réseaux sociaux, jamais aussi élevée, et les tendances sur Google. C’est Emmanuel Macron qui a décidé d’en parler », décrypte, a posteriori, Mounir Mahjoubi :

« Cela a eu un effet radical : dès le lendemain, personne n’en avait plus rien à faire. Une fois qu’il en a parlé, c’est beaucoup moins excitant. Ça n’est jamais remonté. »

« Si on intervient, on donne du crédit à la rumeur »

Parfois, la tactique est de faire s’exprimer l’un des proches du candidat, par le biais d’une tribune dans la presse. C’est ce qu’il s’est passé « au moment où Russia Today et Sputnik sont entrés en roue libre, dans une campagne de rumeurs ». Cela a entraîné la publication d’un texte, dans Le Monde, du secrétaire général d’En Marche !, Richard Ferrand, pour dénoncer, notamment, les allusions des médias russes sur l’influence d’un prétendu « lobby gay » ou sur le fait qu’il serait un « agent américain ».

« Cela nous a permis de ralentir les attaques visibles, mais cela a permis de marquer dans les esprits, de montrer qu’on ne pouvait pas impunément s’en prendre à nous », estime M. Mahjoubi aujourd’hui.

Parfois, ne rien faire est la meilleure solution :

« Il ne faut pas intervenir lorsque le poids de la rumeur est inférieur au nôtre. Si on intervient, on lui donne du crédit, de l’existence. »

Autre subtilité à prendre en compte, selon M. Mahjoubi, « il y a dix ans une boule puante mettait dix ans à sortir et devait passer par plusieurs médias nationaux. Maintenant, le temps de dissémination est de quelques minutes, voire quelques heures ».