Le contrebassiste français Renaud Garcia-Fons. | KOALA PROD

Barre Phillips, San Francisco, 1930, invite Renaud Garcia-Fons, de trente ans son cadet. Tous deux contrebassistes et compositeurs, deux basses de Jean Auray, luthier à Villeranche-sur-Saône, en main, deux mondes possibles. Barre Phillips, oiseau libre, vit dans le midi de la France. Une carrière ? Non, une vie d’amour en musique. De Leonard Bernstein à Albert Ayler… Renaud Garcia-Fons, la passion des Suds, l’exigeante hantise du tonal, de la justesse, ou des « modes » propres aux musiques d’orient. Curieuse rencontre. C’est Barre qui l’a voulue.

La musique de Barre Phillips (sourire solaire), échappe aux retards de train. Que la bande à Pépy vous achemine plus tard que prévu, de Paris au Mans, à la Collégiale Saint-Pierre-la-Cour, place des Filles Dieu, n’a pas la moindre incidence sur sa musique. Que la veille, nuit du 3 mai, soit, grâce à Le Pen, salie d’un débat détestable, rien n’y fait.

Barre Phillips (être très humain) répare tout en douceur. Barre Phillips (ange sans âge) est là, et en un sens, il sera toujours là, puisqu’il fut une fois là. D’où vient le salut ? Du sourire solaire de Barre Phillips (danseur céleste). Du son de son âme, et de son hospitalité. Car, en fin de l’Europajazz dont il sonne les derniers concerts – six par jour jusqu’au dimanche 7 mai – ; à la fin de cette manière heureuse, studieuse, de dépenser le temps que rien ne vient maudire, ni l’obsession de la foire à la marchandise (les « grands » festivals de l’été), ni le fourre-tout affolé à l’idée que les jeunes, les manchots, les incultes, les éleveurs de piranhas, ou les familles, n’aimeraient pas ça ; vers la fin, donc, il y a désormais, depuis 2008, l’instant Barre Phillips (styliste de l’instant). L’Europajazz file sur ses 40 ans.

Renaud Garcia-Fons, mélodiste aux cinq cordes

Quarante ans, c’est un peu plus de la différence d’âge entre Barre Phillips et Renaud Garcia-Fons. C’est Barre qui a voulu Renaud. Ils ne se ressemblent pas. Barre a trente ans d’ « avance », en style de liberté souveraine. Renaud n’a ni la même histoire, ni le même destin : il fascine les classiques et séduit les improvisateurs. D’ordinaire, Jean-Marie Rivier, président, et Armand Meignan, directeur, décident de tout avec des airs de rien. Communisme réel, symbolique et imaginaire, ils n’en font qu’à leur tête.

Barre Phillips, compagnon de route d’un siècle de musique décillée (Ornette, Jimmy Giuffre, Leonard Bernstein, Albert Ayler… sage replié dans le Midi), le goût exquis de la touche et du son arrondi, rencontre Garcia-Fons : artiste anxieux du son juste. Barre cultive l’incertain. Renaud, mélodiste aux cinq cordes, vise le violoncelle. Barre s’évade. Renaud chante ou rythme sur la table d’harmonie.

– Eh quoi ? Que ne le disiez-vous plus tôt ? c’était donc cette perfection? – Oui, mais à quoi bon ? Ce sont délices… secrets du son… archets discrets… bruits boisés… frémissements… mystères… enchantement. Echanges féminins… Rien ne vous défendra de croire que vos oreilles entendent toujours doum-doum-doum. C’est comme ça. Affaire de crédulité, de trompe de falope bien bernée. Le plus lourd des bassistes de cirque n’a jamais fait doum-doum-doum. Ça rebondit. Ça va de l’allant. Mais, comment aller contre une légende urbaine ?

Barre dit toujours qu’il se pose la question de savoir ce qui est en jeu au moment du concert… Il dit qu’il fait en sorte que l’on comprenne que pratiquer l’expérience du son, « c’est la réponse à la question de qu’est-ce que l’expérience du son ? ». Deux CD très récents – La Vida es sueno, et Man’s Zone, avec Emilie Lesbros – plus un livre carnet de route de trio (Listening, Urs Leimgruber/Jacques Demierre/ Barre Phillips, Lenka Lente) le confirment. On saura tout ? – Non, mais on peut deviner…