« Passer sous la barre des deux heures au marathon est impossible. Tout le monde le sait. Personne ne peut courir aussi vite aussi longtemps. » Le film publicitaire qui présente le défi que l’équipementier Nike lance à son athlète kényan Eliud Kipchoge semble annoncer la couleur avant même le début de sa tentative.

Accompagné de deux autres spécialistes de la distance, l’Ethiopien Lelisa Desisa et l’Erythréen Zernesay Tadese, le champion olympique de Rio 2016 va tenter, samedi 6 mai à Monza (Italie), de battre le record du monde établi en 2014 à Berlin par le Kényan Dennis Kimetto, en 2 h 02 min 57 secondes. Mais la nature de l’exploit laisse songeur.

Limiter la sudation

Sur la distance mythique, gagner près de trois minutes sur le record du monde représente un gouffre. Les dirigeants de la marque à la virgule le savent, mais ils ont mis en place une armada de scientifiques, de diététiciens et de préparateurs physiques à la disposition de « leur » champion. Tout a été savamment calculé. Le départ ? Il est programmé à 5 h 45, à l’heure la plus fraîche de la journée afin de limiter la sudation du coureur qui favorise la fatigue. Le parcours ? Eliud Kipchoge, dont le record personnel a été établi à 2 h 03 min 05 s à Londres en 2016, va courir sur le circuit parfaitement lisse de Monza, bien connu des amateurs de F1 pour la présence de ses arbres qui font barrage au vent. En résumé, c’est dans des conditions optimales que le coureur devrait s’élancer sur la distance.

Mais s’il parvient à réaliser l’exploit, le record du Kényan ne sera pas homologué par la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) et cela pour plusieurs raisons. D’abord parce que la tentative ne se déroule pas lors d’une compétition officielle, mais qu’elle s’inscrit dans une tentative de record. Ensuite parce qu’elle se déroule sur un circuit fermé, contrairement à tous les marathons qui se courent aux quatre coins du monde chaque week-end, et parce que le Kényan va pouvoir profiter d’une vingtaine de lièvres – des coureurs qui vont se succéder pour lui donner la cadence et la bonne foulée – contre trois habituellement. Enfin pour des questions d’aérodynamisme, Eliud Kipchoge sera précédé d’un véhicule dont il va pouvoir profiter de l’aspiration en courant derrière.

« Je n’y crois pas »

Alors pourquoi cette tentative ? « D’un point de vue marketing, c’est une excellente opération, répond Dominique Chauvelier, quadruple champion de France de marathon et « finisher » d’une centaine d’épreuves sur cette distance. Mais sur le plan sportif, je n’y crois pas du tout. C’est comme si Dennis Kimetto se prenait un kilomètre dans la vue lors de son record du monde ! Et je rappelle que son temps à Berlin avait surpris tout le monde. Et qu’ensuite, on ne l’a quasiment plus jamais revu. »

Pour l’occasion, l’équipementier Nike a dessiné des prototypes de chaussures profilées dotées d’une lame de carbone qui doivent permettre un gain de performance. Le but de l’opération de Monza est évidemment d’en vendre un maximum à tous les fondus de course à pied, dont le nombre ne cesse de croître. « Mais sincèrement, je ne pense pas que ce type de chaussures va intéresser tous ceux qui veulent courir un marathon juste pour le finir », estime Dominique Chauvelier.

En attendant, les nouvelles chaussures de l’équipementier ont fait un faux départ. « J’ai utilisé les nouveaux modèles de Nike et, quand j’étais entre le 15e et le 20e kilomètre, j’ai commencé à avoir des ampoules, a déploré l’Ethiopien Kenenisa Bekele, qui a pris la deuxième place du marathon de Londres, le 22 avril. Mon pied n’était pas dans sa position habituelle et j’ai dû changer ma façon de courir pour le protéger. »