Les deux rapporteurs chargés d’examiner la demande de levée de l’immunité parlementaire de Marine Le Pen et de Marie-Christine Boutonnet, adressée fin mars par la justice française au Parlement européen dans l’affaire des soupçons d’emplois fictifs d’assistants parlementaires du Front national, ont été désignés, mercredi 3 mai. Il s’agit du député européen polonais Tadeusz Zwiefka (Parti populaire européen), pour Marine Le Pen, et de la députée européenne finlandaise Heidi Hautala (Groupe des verts), pour Marie-Christine Boutonnet.

Chargés de conduire le processus de levée d’immunité de bout en bout, avant un vote final en séance plénière du Parlement, les deux rapporteurs commenceront par présenter les motifs de la demande française, lors de la prochaine réunion de la Commission des affaires juridiques du Parlement européen, les 29 et 30 mai. Ils devraient ensuite inviter Marine Le Pen et Marie-Christine Boutonnet à s’exprimer, devant la même commission.

Si la demande des juges français était acceptée – ce qui est le scénario le plus probable, les refus étant rares – elle ne pourrait intervenir avant l’automne, soit bien après les élections législatives de juin. La décision repose pour l’essentiel sur l’existence d’un lien entre les faits visés et l’exercice du mandat de député européen. D’autres clauses jouent, notamment liées au risque éventuel de persécution de le député européen concerné, dans son pays d’origine. Déjà 43 affaires d’immunité ont été examinées depuis le début de la législature actuelle, commencée en 2014.

Une immunité « non conforme au principe d’égalité »

Sur le fond, la levée de l’immunité dont bénéficient Mme Le Pen et Mme Boutonnet en tant que députées européennes, doit permettre à la justice française de poursuivre son travail. Les deux juges indépendants du pôle financier du tribunal de grande instance de Paris ne sont, en effet, pas encore parvenus à entendre la présidente du Front national, Marine Le Pen, dans le cadre de leur enquête sur les emplois présumés fictifs d’assistants parlementaires de députés européens du parti d’extrême droite.

Convoquée à deux reprises, en février puis en mars, la candidate du FN à l’élection présidentielle a refusé de venir répondre à leurs questions, arguant de la campagne en cours et se réfugiant derrière son immunité parlementaire.

« Il apparaît non conforme au principe d’égalité entre les citoyens devant la loi qu’un justiciable échappe à des poursuites pour les mêmes faits au seul motif qu’il dispose d’une immunité parlementaire », ont écrit Claire Thépaut et Renaud Van Ruymbeke, le 29 mars, dans leur courrier de ­demande de levée d’immunité parlementaire de Mme Le Pen, dont Le Monde a pris connaissance.

Les magistrats font notamment référence aux deux assistants ­parlementaires frontistes –Catherine Griset et Charles Hourcade – qui ne bénéficient pas de cette im­munité, et ont pour leur part été mis en examen pour « recel d’abus de confiance ».

5 millions d’euros de préjudice

Face aux arguments avancés par Mme Le Pen pour éviter d’être elle aussi mise en examen, pour « abus de confiance » dans son cas, Claire Thépaut et Renaud Van Ruymbeke remarquent que « d’autres scrutins et d’autres rendez-vous politiques suivront nécessairement la présidentielle et les législatives, qui constitueront autant d’occasions pour Mme Le Pen d’in­voquer un calendrier judiciaire inopportun ».

En outre, la députée européenne n’a, selon eux, pas pris l’engagement de se rendre à une convocation ultérieure. Dans ce cas, ils envisagent de délivrer un mandat d’amener, ce qui revient à user de mesures coercitives envers elle pour l’obliger à répondre à la convocation.

Les investigations conduites jusqu’à présent dans le cadre de l’information judiciaire ouverte en décembre 2016 tendent à accréditer l’idée que le Front national a mis en place un système visant à faire peser une partie de ses dépenses internes sur les fonds européens – et donc les contribuables. Une pratique interdite par les règles communautaires. De nombreux assistants parlementaires employés par les europdéputés, pour des tâches liées à leur mandat européen, auraient en réalité travaillé au profit du FN, en France.

Dans une nouvelle estimation dévoilée fin avril par l’AFP, le Parlement européen considère que le préjudice subi « au regard d’un usage irrégulier de l’indemnité parlementaire par les députés européens du FN » s’élève à près de 5 millions d’euros pour ses finances, sur la période du 1er avril 2012 au 1er avril 2017. Bien au-delà, donc, des premières estimations ayant donné lieu à une première demande de recouvrement à hauteur de 1,1 million d’euros, répartis sur six eurodéputés frontistes, dont Mme Le Pen. Cette réévaluation concerne désormais 17 eurodéputés, sur les 24 que compte le FN au Parlement, susceptibles d’avoir salarié fictivement une quarantaine d’assistants parlementaires.