Quelques centaines de lycéens parisiens se sont rassemblés place de la Bastille, vendredi 5 mai, en fin de matinée. Certains après avoir bloqué leurs établissements, d’autres en séchant les cours. Après une rapide revue des effectifs, un petit groupe a lancé le mouvement en scandant : « Tout le monde déteste le FN », bientôt repris par l’ensemble du cortège. Car si le mot d’ordre était « Ni FN, ni Macron », la majorité des adolescents présents était bien plus véhémente contre Marine Le Pen que contre le candidat d’En marche !.

Juliette, du lycée Voltaire, dans le 11e arrondissement, était là pour « exprimer un vote qu’[elle] n’a pas le droit de mettre dans les urnes dimanche ». La jeune fille de 17 ans estime que les gens sont ligotés par le second tour. Mais elle avoue que si elle avait pu voter et que Marine Le Pen continuait de monter dans les sondages, elle aurait voté Macron.

Plus loin, deux jeunes filles discutent en marchant. « Faut arrêter de mettre les deux sur le même plan, s’exclame l’une. Le libéralisme et le fascisme, ça ne revient pas au même, Macron ce n’est pas Le Pen. » Son amie hoche la tête.

La manifestation a toutefois tourné court. Après quelques minutes à peine, des CRS ont encerclé le cortège. « C’est parce qu’on s’y est pris trop tard, regrette Daniel, un lycéen. On l’a fait à l’improviste. » Ce grand gaillard de 18 ans fait craquer ses jointures des doigts, un peu énervé de se retrouver bloqué dans cette nasse d’uniformes. « C’était sûr que ça se passerait comme ça, peste-t-il. On aurait dû faire une action plus symbolique. »

Repeindre la statue de Jeanne d’Arc

Cette manifestation avortée s’était décidée jeudi lors d’une assemblée générale organisée par le comité d’action interlycéens. « Un mouvement libre, sans attache partisane », assure un participant, à la demande de qui est derrière cette initiative. Après une heure de discussion à huis clos, sans téléphone portable et hors présence de la presse, les lycéens s’étaient mis d’accord sur une manifestation vendredi.

Baptiste, un lycéen de 17 ans, était resté sur sa faim : « On aurait préféré une action symbolique, il faut être plus originaux. Et puis il y a toujours le risque de la nasse avec une manif », expliquait-il à l’issue de l’assemblée générale, son ami Justin acquiesçant. Sans succès, ils avaient proposé de recouvrir de peinture la statue équestre de Jeanne d’Arc, place des Pyramides, dans le 1er arrondissement. Un lieu lié au Front national historique qui s’y réunit traditionnellement le 1er mai.

Car les deux jeunes gens ne sont pas aussi tranchés que laisse penser le mot d’ordre initial « Ni FN, ni Macron ». Baptiste, tient à préciser que les deux prétendants à la présidentielle « ne sont pas sur le même pied d’égalité ». Justin assure, pour sa part, que s’il avait pu voter dimanche, il aurait déposé un bulletin Macron sans hésiter. Baptiste, lui, aurait voté blanc. Mais les deux lycéens sont loin d’apprécier le candidat d’En marche !, qui représente « ce pour quoi [ils se sont] battus lors de la loi travail ».

« C’est un peu agité »

Vendredi matin, ils étaient une vingtaine à bloquer le lycée Voltaire. « On n’est pas représenté par ces candidats, regrette Raphaël. Surtout qu’on ne pourra pas voter [à la présidentielle] avant nos 22 ans. » Casquette et mains dans les poches, il regarde les pancartes « Ni FN, ni Macron ». Il explique avoir conscience que « les fachos c’est quand même bien pire que Macron », même s’il assure ne pas oublier que l’ex-locataire de Bercy « est à l’origine » de la loi El Khomri.

Peu à peu, le reste des lycéens commence à arriver. Paul, 18 ans, lycéen en terminale, keffieh rouge et cigarette aux lèvres, est un des rares à avoir l’âge de voter. Il avait choisi Jean-Luc Mélenchon le 30 avril. Et le 7 mai, ce sera Emmanuel Macron. « Faut pas se tromper de menace », pense-t-il, estimant que le slogan « Ni Le Pen, ni Macron » n’est pas assez nuancé.

Malgré quelques jets d’extincteurs, deux ou trois pétards, le blocus se déroule plutôt calmement, rythmé par des slogans anti-FN. Quelques tentatives pour entraver la porte annexe aboutissent à de légers heurts avec le proviseur adjoint et son équipe. « On ne peut pas parler de débordements, assure-t-il en s’époussetant les épaules pour chasser la poudre d’extincteur. C’est un peu agité, mais on a l’habitude. »

Certains lycéens se désolidarisent du mouvement et tentent de rentrer en cours. Majoritairement des terminales qui ont le bac. « Mais ce n’est pas pour autant qu’on n’est pas contre le FN », glisse l’un d’eux. C’est finalement un feu de poubelle qui met fin au blocus, avec l’intervention des pompiers.

« On n’arrive pas à se mobiliser »

Selon le rectorat, la mobilisation – à peine un lycée bloqué et une dizaine d’établissements perturbés – est bien moindre que la semaine dernière, où près de vingt lycées avaient été bloqués.

Un peu plus tard, place de la Bastille, où une trentaine de lycéens de Voltaire ont retrouvé des groupes venus des lycées Turgot, Arago ou Charlemagne – deux cents personnes tout au plus – Juliette se dit « un peu déçue » : « On n’est pas beaucoup. On n’arrive pas à se mobiliser. » Selon elle, c’est parce que le mouvement est spontané qu’il ne fonctionne pas.

Après l’intervention des CRS, les lycéens sont exfiltrés par groupe de trois pour éviter d’autres rassemblements. La plupart d’entre eux restent deux heures encerclés. En partant, un lycéen s’exclame : « Bon, la priorité c’est battre Le Pen dimanche. » Avant de prévenir : « Macron, on verra après. »