Six ans après la répression du soulèvement bahreïni de 2011, lancé dans le sillage des Printemps arabes, la situation des droits de l’homme dans le petit royaume golfien a empiré. Des militants des droits humains, des opposants politiques et des représentants de la communauté chiite - majoritaire dans ce pays dirigé par la famille royale sunnite Al-Khalifa- sont en prison, interdits de sortir du pays ou ont été déchus de leur nationalité.

De passage à Paris, Maytham Al-Salman, défenseur des droits humains au Bahrein Center for Human Rights (BCHR), une organisation membre de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), alerte sur le risque d’une escalade autour du procès de l’ayatollah Issa Al-Qassem, la plus haute autorité chiite du pays, qui s’ouvre dimanche 7 mai.

Six ans après le soulèvement bahreïni, la répression s’est accrue au Bahreïn. Quelles sont les mesures qui vous inquiètent le plus ?

Elles sont au nombre de trois. La première est la ratification par sa majesté le roi du Bahreïn d’un amendement ouvrant la voie à la tenue de procès militaires pour les civils. Cela est contraire aux engagements internationaux du Bahreïn et aux recommandations de la Commission d’enquête indépendante bahreïnie (BICI- établie après les événements de 2011). La seconde sont les pleins pouvoirs conférés aux agences de sécurité nationales, également contre les recommandations de la BICI. Elles se sont rendues responsables de violations graves comme la torture.

Enfin, la dernière violation grave est la déchéance de nationalité de la plus haute autorité religieuse chiite, l’ayatollah Issa Al-Qassem, qui est l’un des pères fondateurs de la Constitution du Bahreïn. Les chiites représentent 65 % de la population. Ils vivent cette décision comme une insulte. Depuis le 20 juin 2016, et le décret royal qui a statué pour cette déchéance de nationalité, des centaines de personnes se réunissent devant la maison du cheikh Qassem à Duraz. Depuis 300 jours, le village est complètement assiégé et ses entrées bloquées par des fils barbelés, des sacs de sable et des patrouilles de police.

Comme l’a pointé Federica Mogherini, la chef de la diplomatie européenne, ce n’est pas seulement une question de droits de l’homme mais aussi une question géopolitique. Bahreïn est au centre d’une région en proie à des conflits où les alignements et la polarisation confessionnels jouent un rôle majeur. Nous ne voulons pas que le Bahreïn devienne un autre Irak, Yémen ou Syrie. La communauté internationale doit aider le Bahreïn à retrouver la paix et la stabilité par un dialogue inclusif pour garantir l’égalité de tous les citoyrens et la fin des pratiques discriminatoires contre la communauté chiite.

Le risque existe d’un éclatement de violence au Bahreïn ?

Quand vous emprisonnez et intimidez les modérés, vous ouvrez la voie à l’extrémisme. Quand des modérés comme Nabil Rajab, le cheikh Salman et d’autres sont mis en prison pour leurs idées ; quand 65 % des Bahreïnis sont victimes de discrimination systématique ; quand la répression devient une stratégie de gouvernance, il est naturel que la frustration monte. Les pays où les citoyens ont un haut niveau de frustration ont un fort potentiel de violence. La communauté internationale doit appeler le Bahreïn à laisser la société civile œuvrer contre les messages de violence plutôt que de la cibler. La condamnation de l’ayatollah Qassem pourrait occasionner un niveau de violence élevé.

Depuis 2011, le gouvernement a commis des violations sérieuses qui, non seulement affectent la fabrique nationale mais frustrent la majorité des citoyens de façon dangereuse. Il est crucial de convaincre le gouvernement du Bahreïn que la voie du dialogue est la seule à même de ramener la stabilité et qu’il est impossible de réduire au silence des milliers de personnes qui ont été licenciées de leur emploi, qui ont vu leurs mosquées détruites, et dont les proches sont en prison. Le gouvernement du Bahreïn doit adopter un processus de justice transitionnelle, ainsi que des mesures législatives et des stratégies qui replacent l’identité bahreïnie au-delà de toutes les autres identités religieuses, tribales ou ethniques.

Vous êtes de longue date engagé dans le dialogue interreligieux au Bahreïn. Etes-vous encore optimiste quant à la possibilité de dépasser ce clivage confessionnel entre sunnites et chiites ?

De nombreuses opportunités existent pour dépasser cette crise. Mais, en réprimant la société civile, en limitant l’espace politique et en censurant totalement les activités civiques, les autorités bahreïnies ne donnent pas aux leaders communautaires la possibilité de jouer un rôle pour réunir à nouveau les Bahreïnis.

Je reste optimiste du fait de l’histoire du Bahreïn. Les Bahreïnis sont en majorité des montagnards, des paysans et des hommes d’affaires qui ne cherchent ni les guerres tribales ni la vengeance. Nombreux Bahreïnis veulent la fin des discriminations et que l’identité nationale s’impose aux autres identités. Le Bahreïn a historiquement été ouvert aux autres cultures. Manama, la capitale, accueille la majorité des centres culturels chiites, mais aussi des dizaines d’églises, une synagogue, des temples bouddhistes et hindous depuis des décennies. Nous sommes le meilleur modèle de coexistence pacifique de toute la péninsule arabique et j’ai l’espoir que nous y parvenions à nouveau si le gouvernement arrête de cibler la société civile.