Les viticulteurs allument des braséros dans leurs parcelles pour lutter contre le gel dans le chablisien fin avril. | CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS

« Dans certaines parcelles, c’est comme si l’hiver était revenu », raconte Bernard Farges, vice-président du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB). Le brusque refroidissement, qui a saisi la France fin avril, a eu un effet dévastateur dans de nombreuses vignes. En particulier dans le Bordelais et la région de Cognac.

Une première vague glacée a survolé le pays entre le 19 et le 20 avril. Puis trois nuits sombres resteront gravées dans les mémoires. Entre le 27 et le 29 avril, le mercure chute brutalement et le gel brûle jeunes pousses et bourgeons déjà en développement. « Nous n’avions pas connu un épisode de gel de cette ampleur depuis 1991 », témoigne M. Farges. L’heure est au premier bilan, même s’il est encore partiel. « Nous estimons que nous avons perdu 50 % de la récolte », affirme M. Farges, plus pessimiste que la première tendance donnée par la Fédération des grands vins de Bordeaux (FVGB), qui chiffrait alors la perte de volume à 30 %.

A Saint-Emilion, 80 % du vignoble est touché, selon Jean-François Galhaud, président du Conseil des vins de Saint-Emilion, cité par l’AFP. Dans le Médoc, Listrac a été très frappé à près de 90 %.

La Bourgogne « s’en sort pas trop mal  »

Les viticulteurs de la région de Cognac, voisine, arpentent aussi avec tristesse les rangs de vigne durement touchés. Pour eux, également, la référence est celle de 1991. « Sur les 75 000 hectares de l’appellation, 25 000 hectares ont été détruits entre 80 % et 100 % et 15 000 hectares entre 10 % et 30 % », décrit Jean-Bernard de Larquier, président du Bureau national interprofessionnel de Cognac (BNIC). Seuls les hauts de coteaux et les îles de Ré et d’Oléron ont échappé aux griffes du froid. Toutefois, M. de Larquier reste prudent sur un éventuel chiffrage de perte de volume. « Parfois, seul le premier bourgeon a gelé, un contre-bourgeon peut sortir et donner une récolte, même si elle n’est que de 20 % à 40 % comparable à celle d’une année normale. »

D’autres régions ont été soumises à la vague de froid. A l’exemple de la Champagne. Dans ce précieux vignoble, l’analyse de la situation se poursuit. Si dans un premier temps, un taux moyen de 20 % à 25 % de bourgeons brûlés a été évoqué par le Comité interprofessionnel des vins de Champagne (CIVC), il faudra attendre encore pour avoir un état complet de la situation.

Côté bourguignon, pas de pessimisme excessif. « Par rapport à d’autres régions, on ne s’en sort pas trop mal », note Jean-Michel Aubinel, président de la Confédération des appellations et des vignerons de Bourgogne. La zone la plus meurtrie est celle de Chablis, où 1 000 hectares, soit 20 % de l’appellation, ont souffert. « Le gel est normal en cette saison. Ce qui l’est moins, c’est l’état végétatif de la vigne qui avait près de deux semaines d’avance », explique M. Aubinel.

Peu de viticulteurs assurés

En Occitanie, les viticulteurs déplorent près de 10 % du vignoble détruit. Les dégâts sont particulièrement conséquents dans l’Hérault où la baisse de production pourrait atteindre 20 %. Le Jura ou l’Alsace sont aussi concernés. Quant à la clairette de Die, près de 60 % de son potentiel aurait été perdu.

Impossible d’évaluer aujourd’hui l’impact qu’auront ces dures gelées de printemps sur le niveau final des cuves viticoles françaises en 2017. Déjà en 2016, les revers de fortune météorologiques, avec des épisodes de gel et de grêle, avaient fait baisser le niveau des vendanges de 12 % à 41,9 millions d’hectolitres. Certes, des stocks existent et peuvent pour certains viticulteurs amortir le choc, mais la récolte qui ne sera pas en cuve manquera tôt ou tard dans les trésoreries. Et si la perte de vendange s’approche des 50 % dans le Bordelais, le potentiel manque à gagner peut être estimé à plus de 1,5 milliard d’euros. Sachant qu’en 2016, la commercialisation des vins de Bordeaux a atteint un montant de 3,65 milliards d’euros.

Derrière ces chiffres globaux, se cachent des réalités très hétérogènes sur le terrain avec des viticulteurs dont les vignes sont complètement grillées et d’autres qui ont été totalement épargnées. Moins de 20 % des viticulteurs du Bordelais étant assurés contre le gel, tout l’enjeu consiste à accompagner les exploitants les plus fragilisés en obtenant des reports de paiement de charges sociales ou fiscales et en gardant le soutien des banques. Mais c’est aussi l’occasion de remettre sur la table la question de la gestion des risques. Pour certains viticulteurs, les assurances, qui fixent un montant de franchise de 25 %, ne sont pas adaptées. D’autres demandent de lisser la fiscalité sur trois ans, pour tenir compte des aléas de production, de défiscaliser les stocks ou d’autoriser une réserve de précaution en nature. Des discussions qui seront menées avec le prochain gouvernement.