A cinq semaines d’élections législatives anticipées décisives, c’est la promesse d’un raz-de-marée conservateur pour la première ministre Theresa May et un terrible coup de semonce pour les travaillistes.

Alors que les scrutins intermédiaires servent généralement à sanctionner le pouvoir en place, les tories, installés à Downing Street, ont conquis plus de 500 sièges aux élections locales – dans les municipalités et les comtés –, jeudi 4 mai, tandis que l’opposition travailliste en a perdu plus de 400. La stratégie politique de Mme May, qui a transformé cette consultation en un vote de confiance sur sa position de fermeté sur le Brexit, a payé au-delà de toute attente.

Non seulement les conservateurs ont marqué des points sur le Labour dans leurs fiefs populaires, mais ils ont siphonné de façon spectaculaire les voix du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP ; extrême droite). Ce dernier, qui avait obtenu presque quatre millions de voix aux législatives de 2015, semble avoir été « tué » par le triomphe de sa revendication quasi unique : la sortie de l’Union européenne (UE).

Une habileté d’inspiration populiste

Fait majeur pour la suite, Mme May, qui n’avait pas fait campagne pour la sortie de l’UE, semble avoir transformé les tories en parti du Brexit. Le divorce avec le continent, enclenché à la fin mars, sert désormais de point de ralliement aux électeurs convaincus par la formule de communiquant qui sature sa campagne : elle seule possède le « leadership fort et stable » capable d’arracher aux Vingt-Sept « le meilleur accord » pour le Royaume-Uni.

Avec une habileté d’inspiration populiste, se posant en championne du Brexit, elle a retourné à son profit le compte rendu publié quelques jours plus tôt par la Frankfurter Allgemeine Zeitung de son calamiteux dîner avec les négociateurs de l’UE.

Recevant à Downing Street, le 26 avril, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, et le négociateur en chef de l’UE, Michel Barnier, elle avait fait montre d’irréalisme et d’une méconnaissance des dossiers européens. En accusant Bruxelles d’avoir organisé cette fuite pour peser sur les élections britanniques, elle a manifesté un certain degré de paranoïa mais elle a surtout galvanisé les électeurs.

Vendredi, alors que tombaient les résultats des municipales, Mme May a de nouveau accusé « les bureaucrates européens » d’empêcher le Royaume-Uni d’obtenir un bon accord sur le Brexit en tentant de l’affaiblir. Surjouant la modestie pour ne pas démobiliser ses partisans, elle a affirmé qu’elle ne « tenait pas pour acquis » une victoire aux législatives de juin. Tout occupée à détourner la colère sur Bruxelles, elle se garde bien de définir les contours du Brexit et d’expliquer ses conséquences.

« Un défi historique » pour le Labour

Jeudi, la carte du pays « bleu » – la couleur des conservateurs – s’est étendue au nord de l’Angleterre et au Pays de Galles. Mais la victoire la plus symptomatique est celle remportée pour la nouvelle mairie d’agglomération de Birmingham, un bastion du Labour depuis des décennies, par le tory modéré Andy Street, ancien directeur des magasins John Lewis.

Les travaillistes ont reculé partout, singulièrement au Pays de Galles et en Ecosse, où ils ont perdu la majorité à Glasgow au profit des indépendantistes du Parti national écossais (SNP). Seules consolations : le Labour tiendra les nouvelles municipalités de Manchester et de Liverpool, deux de leurs fiefs historiques.

Alors que certains élus dénoncent son rôle de repoussoir vis-à-vis des électeurs, Jeremy Corbyn, le leader du Labour a admis que ces résultats étaient « difficiles » et que remporter à présent les législatives constituait « un défi de dimension historique ».

L’effondrement du UKIP – il ne lui reste qu’un seul élu –, même dans les régions qui avaient largement approuvé le Brexit, s’est fait au profit exclusif des tories. La formation d’extrême droite semble avoir servi de sas à des électeurs Labour anti-UE avant leur basculement vers le vote conservateur.

Un nouveau paysage politique

Quant aux LibDems, seul parti pro-européen avec les Verts, il ne réussit pas à capitaliser le vote des anti-Brexit. Même en Ecosse, qui leur est traditionnellement hostile, les conservateurs ont gagné des élus tandis que les nationalistes du SNP, qui avaient mis en sourdine leur revendication d’indépendance, conservent leur place de premier parti.

Une projection nationale réalisée par la BBC sur la base des résultats de jeudi donne 38 % aux tories, 27 % au travaillistes, 18 % aux LibDems et 5 % à UKIP, anticipant une victoire écrasante pour Mme May le 8 juin.

Seul véritable point d’interrogation : le niveau de participation qui, aux municipales – des élections traditionnellement délaissées – a plafonné à 36 % et même à moins de 30 % dans les grandes villes. Car pour le reste, une chose est certaine : le vote sur le Brexit a bouleversé le paysage politique britannique, ébranlant les affiliations habituelles, à l’extrême droite mais aussi à gauche.