« Blavatnik Building », une aile du Tate Modern de Londres, le 14 juin 2016. | MATT DUNHAM/AP

La dernière évaluation par Forbes de la fortune de Len Blavatnik s’élève à 19,1 milliards de dollars (17,4 milliards d’euros). De quoi laisser assez d’argent de poche à l’oligarque pour verser un généreux don à la Tate Modern. Son montant exact n’est pas dévoilé mais la somme a été suffisante pour que le fameux musée d’art contemporain londonien décide, jeudi 4 mai, de renommer son extension. La nouvelle aile, très réussie au demeurant et ouverte depuis juin 2016, s’appellera désormais le « Blavatnik Building ». « La générosité du don est presque sans précédent dans l’histoire de la Tate », affirme dans un communiqué Nicholas Serota, le directeur de l’institution.

Le geste agace prodigieusement Roman Borisovich, un militant anti-corruption basé à Londres. « Quelle décision malheureuse ! J’espère surtout qu’un jour, il existera une aile Blavatnik dans la prison de haute sécurité de Belmarsh. » Selon lui, l’homme d’affaires est un proche du Kremlin, qui s’est enrichi dans un contexte sulfureux et s’achète ainsi une image à bon compte.

Un généreux philanthrope

Né en Ukraine en 1957, émigré aux Etats-Unis dès les années 1970, à l’âge de 21 ans, diplômé de l’université d’Harvard, M. Blavatnik a initialement construit sa fortune dans l’aluminium lors du démantèlement de l’URSS. Il s’est ensuite fait connaître pour être l’un des trois partenaires russes de TNK-BP, une joint-venture (société commune) à égalité avec la compagnie pétrolière britannique, qui exploitait les hydrocarbures russes. Avec sa nationalité et son éducation américaines, l’oligarque incarnait le lien vers l’Occident.

En 2008, TNK-BP a fait l’objet d’une extraordinaire lutte pour son contrôle. Toute la machine administrative russe s’est mise en branle : la police a lancé plusieurs descentes dans ses bureaux ; un employé a été arrêté et accusé d’espionnage ; une centaine de salariés ont été menacés de perdre leur visa. Bob Dudley, son directeur général – et aujourd’hui le patron de BP – a dû quitter précipitamment la Russie, pour se cacher le temps que retombe la tension. La compagnie pétrolière britannique a finalement laissé les partenaires russes prendre un contrôle plus important dans le groupe. Quelques années plus tard, celui-ci a été acheté par Rosneft, l’entreprise pétrolière nationale russe, permettant à M. Blavatnik d’empocher une grosse plus-value.

Depuis, l’oligarque a pris du recul avec la Russie. Sa société a notamment pris le contrôle de Warner Music et l’homme s’est réinventé comme un généreux philanthrope. Il a fait des dons à la Royal Academy, à la National Gallery, et donc, à la Tate. A l’université d’Oxford, il a aussi créé la « Blavatnik School of Government », un institut cherchant – sans rire – à créer un « monde mieux gouverné ». « Il blanchit sa réputation », s’étrangle M. Borisovich. Preuve que les taches de pétrole se lavent parfois en achetant des peintures à l’huile.