L’ex-premier ministre du Bénin, Lionel Zinsou, connaît le président français nouvellement élu pour avoir travaillé avec lui à la banque Rothschild et avoir été l’un de ses soutiens durant la campagne. Il livre une première analyse au Monde Afrique de ce que pourraient être les relations franco-africaines sous le mandat d’Emmanuel Macron, le premier président français à être né après la décolonisation du continent.

Vous êtes l’une des premières personnalités politiques africaines à avoir soutenu Emmanuel Macron. Votre sentiment après sa victoire ?

Lionel Zinsou J’éprouve avant tout un sentiment de soulagement. Si l’extrême droite l’avait emporté, c’est tout un système de valeur qui se serait effondré. Ce parti porte des valeurs d’exclusion, de xénophobie, de répression des migrants et de racisme assumé. Ce n’est pas parce que le Front national est dédiabolisé qu’une partie de ses militants et de ses électeurs ne s’assimile pas à ce système de valeurs. Le second sentiment, c’est la joie. Car cette élection est selon moi très positive, non seulement pour la France mais aussi pour tout le continent européen. Car la France joue, en Europe, un rôle absolument décisif. Une sortie de l’Europe aurait entraîné une crise économique mondiale dont nous aurions été également les victimes en Afrique. En effet, en dehors de l’Europe, l’autre continent pour lequel c’est une bonne chose, c’est l’Afrique, parce que notre continent est un partenaire important de l’Europe et un partenaire important de la France.

Quel est le moment qui vous a le plus marqué durant cette campagne ?

L’un des moments extraordinaires de l’entre-deux-tours est le soutien de Barack Obama. Cela n’arrive jamais qu’un ancien président des Etats-Unis qui, par ailleurs, est une icône, dise en français : « Je suis en marche, je soutiens Emmanuel Macron. » Cela indique à quel point ce qui était en jeu, ici, ce sont des valeurs universelles. Ces mêmes valeurs étaient en jeu dans d’autres élections comme aux Pays-Bas, aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne. Et je trouve que c’est très important que des personnalités étrangères disent bien ce que ce choix comporte d’universel. En outre, l’élection d’Emmanuel Macron marque le besoin de renouveler les idées et les hommes.

M. Macron veut des relations plus ambitieuses avec l’Afrique. Quels pourraient en être les obstacles ?

Il faut surmonter les obstacles psychologiques. Il faut continuer à convaincre, notamment les chefs d’entreprises, que l’Afrique c’est le continent de l’avenir. Et qu’on peut accélérer la croissance française et accélérer la croissance africaine si on est capables de bâtir beaucoup plus de partenariats. Il faut surtout que ces partenariats soient bâtis sur l’avenir, c’est-à-dire autour des questions relatives à l’énergie, à l’agriculture, au numérique, l’éducation, les industries culturelles, tous ces secteurs qui représentent de grosses niches d’emplois. La France a les moyens d’être plus active et l’Afrique est demandeuse de partenariats avec le monde entier, dont la France. Et c’est assez facile, car on a la langue en commun et, en matière culturelle, énormément de choses en partage. Donc les obstacles sont plutôt psychologiques. Il faut créer une mobilisation.

A quoi pourrait ressembler la politique d’un président qui ne se réclame ni de droite ni de gauche ?

La relation entre la France et l’Afrique ne doit pas forcément se regarder sous des clivages gauche-droite. C’était peut-être vrai, il y a cinquante et soixante-dix ans, parce que la gauche était pour la décolonisation et la tradition de la droite, c’était d’assumer la colonisation. C’est néanmoins le général de Gaulle qui a réalisé la décolonisation. Par conséquent, ce n’était pas des clivages absolus. Mais on n’est plus du tout dans le même contexte. Car les bonnes idées en matière de partenariat sont partout. Ce qu’apporte Emmanuel Macron, à mon avis, c’est un intense respect de l’autre, un intense respect de la souveraineté [des Etats africains], un intense respect de leur culture parce qu’il appartient à une génération qui est née des années après la colonisation. C’est un président français jeune qui parle à une Afrique jeune. L’âge médian au Bénin, mon pays, c’est 17 ans. L’âge du président français, c’est 39 ans et l’âge de l’indépendance, c’est 57 ans. Ces générations, des deux côtés, peuvent se parler sans que les doutes, les fantômes du passé occupent les esprits. En outre, on a la chance d’avoir à la tête de l’Etat français quelqu’un qui sait très bien de quoi il s’agit, parlant de l’Afrique, qui connaît bien le continent, qui a des idées très claires, et qui très nuancé sur le partenariat franco-africain. En un mot, on a ici quelqu’un qui respecte l’Afrique et ses diasporas et qui l’a dit à plusieurs reprises.

Quelles leçons l’Afrique peut-elle tirer de cette victoire ?

La leçon à tirer, qui n’est pas seulement pour l’Afrique, est la suivante : il y a des moments où les peuples veulent renouveler le système. En Afrique comme ailleurs, ils veulent que la jeunesse vienne aux affaires. Cette revendication est française, italienne, canadienne, entre autres, mais aussi africaine. Aujourd’hui, regardez Matteo Renzi en Italie, Justin Trudeau au Canada. Tous les peuples veulent que la génération qui porte l’avenir porte le pouvoir. Il y a une formule de Justin Trudeau à Antananarivo qui m’avait beaucoup frappée et qu’Emmanuel Macron illustre parfaitement : « Les jeunes ne sont pas les leaders de demain, ce sont les leaders d’aujourd’hui. »

Quels sont aujourd’hui les chantiers prioritaires de la relation entre la France et l’Afrique ?

Répondre aux besoins de l’Afrique. Je n’ai jamais voyagé autant de ma vie à travers toute l’Afrique et partout je vois les mêmes problèmes. Donner de l’emploi aux jeunes, donner de l’électricité à 70 % de notre population africaine qui ne l’a pas, donner à l’agriculture africaine, qui emploie la moitié des Africains, les moyens d’accélérer sa productivité. Ce ne sera pas facile et cela demandera un grand effort de mobilisation des entreprises.

Quelle qualité de M. Macron lui permettrait de résoudre ces problèmes ?

Le respect. Par respect il a dit des choses que la droite et l’extrême droite lui ont reprochées. Elles ont crié au scandale, et ont dit qu’il n’aimait pas la France, simplement parce qu’il disait que la culture française est faite de toutes les cultures qui l’ont nourrie. Et aussi pour avoir dit : « Je respecte les différences, je respecte les musulmans, je respecte les protestants, je respecte les juifs, je respecte les Africains, je respecte les communautés étrangères qui font aussi la France ou les communautés d’origine étrangère qui font aussi de vrais citoyens français, je respecte leurs différences qui sont notre richesse. » Cette dernière phrase, c’est la première fois qu’on l’entend dans une campagne électorale et c’est une bonne nouvelle pour ces populations.