Exemple de mème pro-Le Pen diffusé sur 4chan/pol, au soir du second tour de l’élection française. | Capture d'écran

Un an après le vote du Brexit et sept mois après l’élection surprise de Donald Trump, l’alt-right n’a pas eu l’occasion de célébrer un troisième succès consécutif majeur, après l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République française, dimanche 7 mai. L’alt-right, mouvement informel d’extrême droite anglophone, transnational, jeune et ultraconnecté, devenu célèbre à l’automne 2016 pour son rôle dans la campagne de Donald Trump, n’a pu que prendre acte sur ses habituels réseaux de communication – Twitter, 4chan et Reddit – de la défaite de sa favorite Marine Le Pen. « Nous savions tous qu’il allait gagner, mais merde ! Seulement 35 % [pour la candidate du Front national]… Je hais tellement mon pays… », s’est ainsi agacé, en anglais, un Français sur le forum anonyme de 4chan, après les premiers résultats du second tour de l’élection présidentielle.

Jusqu’au dernier moment, les partisans de ce mouvement sans frontières ont pourtant cru pouvoir influer sur l’issue du scrutin, en relayant massivement, vendredi 5 mai en soirée, puis le lendemain, plusieurs gigaoctets de données issues du piratage des boîtes mail de cadres d’En marche !. A l’authenticité parfois douteuse, et présentées comme des « Macron Leaks », ces données étaient parfois accompagnées de faux grossiers. Il s’agissait d’une tentative manifeste de peser sur le vote, mais celle-ci ne semble pas avoir porté ses fruits.

Faux et messages islamophobes

Entre plusieurs partages de tweets et articles consacrés à sa notoriété nouvelle, Jack Posobiec, le chroniqueur américain à l’origine de la diffusion massive de ces documents, s’en est pris aux médias français, coupables selon lui de n’avoir pas s’être fait le relais de leur contenu. Suite aux résultats du second tour, reprenant une antienne de l’alt-right, l’islamophobie, il s’est contenté de demander si la France était « devenue la femme battue de l’Islam ».

Alarmisme, agitation de la menace terroriste et islamophobie : les réactions les plus récurrentes à l’élection d’Emmanuel Macron dans la sphère alt-right. | Capture d'écran

Les réactions étaient similaires chez les autres figures majeures de l’alt-right, cette extrême droite proche des positions du Kremlin, le plus souvent complotiste, masculiniste, islamophobe et attachée au « nationalisme blanc ». Paul Joseph Watson, chroniqueur pour le site conspirationniste d’extrême droite InfoWars, qui a près de 600 000 abonnés sur Twitter, a ainsi posté, en guise de vidéo des « militants pro-Macron célébrant sa victoire à Paris », une archive datant d’avril 2016 de migrants s’affrontant métro Stalingrad à Paris. Il a par ailleurs félicité sur le ton de l’ironie « le banquier, bureaucrate gouvernemental, membre Bilderberg ».

Paul Joseph Watson, du site « InfoWars », a posté une vidéo d’émeutes datant d’avril 2016 pour illustrer les célébrations de l’élection d’Emmanuel Macron. | Capture d'écran

Sur son compte Twitter, le blogueur masculiniste et conspirationniste Mike Cernovich a pour sa part souhaité « une bonne journée à tous, sauf aux électeurs de Macron », en postant une image trafiquée montrant le candidat d’En Marche ! aux pieds d’Angela Merkel – un des nombreux faux abondamment partagés par l’extrême droite internationale durant la campagne. La chancelière allemande, pro-européenne et favorable à l’intégration de migrants, est en effet l’une des adversaires politiques les plus honnies de l’alt-right. Mike Cernovich a par ailleurs interpellé sur un ton badin Donald Trump, dont il est un proche soutien, pour lui suggérer d’accueillir les électeurs de Marine Le Pen en tant que réfugiés politiques.

Les montages photos assimilant Emmanuel Macron à un « valet » d’Angela Merkel, classique de la campagne, continuent de tourner. | Capture d'écran

Images chocs, analogies anxiogènes, raccourcis intellectuels

Derrière ces figures notoires, toute une sphère « patriotique » s’est agitée pour commenter avec fracas l’élection d’Emmanuel Macron. Sur Reddit, le sous-forum r/The_Donald, l’un des principaux fiefs en ligne des partisans de Donald Trump durant la campagne américaine, les messages les plus appréciés reprenaient les mêmes méthodes que celles employées ces dernières semaines pour dévaloriser l’ancien ministre de l’économie, faites d’images chocs, d’analogies anxiogènes et de raccourcis intellectuels.

Le plus populaire d’entre eux affichait une photo d’une des victimes mineures de l’attentat de Nice de juillet 2016, qui coûta la vie à 86 personnes, assimilant position pro-Europe et risque terroriste. Une autre saluait le nouveau président français en prenant sciemment Angela Merkel comme illustration. En tout, 21 des 25 posts de la page d’accueil de la section étaient consacrés à l’élection française, très suivie sur cette partie du site.

Sur Reddit/The_Donald, soutien historique de Donald Trump et désormais Marine Le Pen, intox et analogies islamophobes ont accueilli l’élection d’Emmanuel Macron. | Capture d'écran

Sur «/pol/», la section du forum anglophone 4chan dédiée aux discussions « politiquement incorrectes » anonymes, le plus souvent à l’orientation ultranationaliste et raciste, le sujet consacré à l’élection de Macron a de son côté donné lieu à des réactions tantôt acerbes, tantôt distantes et amusées. Tandis qu’un internaute promettait de désormais célébrer chaque nouvel attentat en France, d’autres se contentaient de prendre acte avec recul de l’inefficacité de leur campagne de mèmes anti-Macron. « Ma foi, les mèmes c’était amusant, mais sincèrement, France, bonne chance. Je le pense vraiment. Bonne. Chance », pouvait-on lire chez l’un d’eux.

Un autre participant, se présentant comme franco-japonais, annonçait lui se préparer à brûler son passeport hexagonal avant que la France ne « devienne un califat dans quelques années », tandis qu’un dernier qualifiait les Français de « rats communistes fainéants ». Quelques messages d’opposants à Donald Trump et Marine Le Pen s’interposaient parfois. « Emmanuel Macron a été le pire candidat à une élection depuis Hillary Clinton », enrageait un autre anonyme, résumant un sentiment général. Sauf que cette fois, l’ennemi déclaré de l’alt-right est passé.