Le président de la FIFA, Gianni Infantino, et sa secrétaire générale, Fatma Samoura, le 9 mai. | HAMAD I MOHAMMED / REUTERS

Les intrigues et autres manœuvres politiciennes à la Fédération internationale de football (FIFA) auraient très bien pu inspirer les scénaristes des séries House of Cards ou Game of Thrones. Dernier épisode en date du feuilleton FIFA à l’atmosphère florentine, la décision du conseil (le gouvernement) de l’instance de remplacer les deux coresponsables de son comité d’éthique dit « indépendant ». A la veille du 67e congrès de la fédération, jeudi 11 mai, à Manama (Bahreïn), l’avocat suisse Cornel Borbely, 39 ans, et le magistrat allemand Hans-Joachim Eckert, 68 ans, n’ont pas été reconduits dans leurs fonctions pour les quatre années à venir.

Respectivement président de la chambre d’instruction de ce « tribunal interne » depuis fin 2014, et patron de la chambre de jugement depuis 2012, les deux juristes devraient être remplacés, après un vote en ce sens des 211 fédérations membres du congrès de la FIFA, par l’avocate colombienne Maria Claudia Rojas et par le juge grec Vassilios Skouris, ex-numéro un de la Cour de justice européenne (2003-2015).

Le remplacement d’Eckert et de Borbely intervient un an après le vote d’un amendement controversé lors du précédent congrès de la FIFA, à Mexico, en mai 2016. Ledit amendement donnait le pouvoir, en principe pour un an, au président de la Fédération, Gianni Infantino, et aux membres de son conseil de nommer et destituer les membres des organes juridictionnels, dont le comité d’éthique.

Une éviction « politiquement motivée »

Cette décision avait entraîné la démission fracassante de Domenico Scala, patron du comité d’audit et de conformité. Ce dernier avait alors dénoncé l’amendement, considérant qu’il « priverait de fait les organes de leur indépendance ».

Dans un communiqué, la FIFA a publié, mardi, la liste des candidats proposés pour diriger le comité d’éthique, officialisant ainsi le non-renouvellement du mandat d’Eckert, de Borbely, et de leurs adjoints. Le départ des deux juristes représente un tournant dans l’histoire mouvementée de la fédération, confrontée à une litanie de scandales de corruption et à une tornade judiciaire.

Le règne du tandem coïncide avec une série de suspensions infligées aux dignitaires de l’organisation, dont son ex-président suisse Joseph Blatter (1998-2015), radié six ans, l’ancien patron de l’UEFA, Michel Platini, banni quatre ans, ainsi que l’ex-secrétaire général Jérôme Valcke, suspendu dix ans.

Dans un communiqué commun, Eckert et Borbely ont déploré leur éviction, indiquant que « cette non-élection imminente ramènera le travail du comité d’éthique très loin en arrière ». Le duo rappelle que la chambre d’instruction a mené « 194 enquêtes » et que la chambre de jugement a sanctionné « plus de 70 dirigeants ». Le magistrat allemand et l’avocat suisse – qui disposaient, en 2016, respectivement d’un budget de 1,54 et de 1,67 million de dollars – estiment que leur départ est « politiquement motivé » et « met de fait un terme aux efforts de réforme », tout en ayant un « impact négatif sur la FIFA », « dont l’image est déjà ternie ».

Le non-renouvellement de leur mandat intervient alors que Gianni Infantino ferait, selon le Spiegel, l’objet d’une enquête préliminaire du comité d’éthique pour des accusations d’ingérence dans les élections à la Confédération africaine de football (CAF), en mars. En août 2016, le président de la FIFA avait été blanchi par ce « tribunal interne » au terme d’une enquête sur de putatifs abus de dépenses et voyages en jets privés.

Eckert et ISL

Ancien procureur de Munich, Eckert avait été nommé en même temps que l’ex-procureur new-yorkais Michael J. Garcia, alors désigné président de la chambre d’instruction dudit comité. Le magistrat allemand s’illustre rapidement en radiant à vie le Qatari Mohamed Ben Hammam, ancien vice-président de la FIFA et dirigeant de la Confédération asiatique, déjà banni en 2011 pour « fraude électorale ».

En avril 2013, il soumet à la FIFA son rapport sur l’affaire International Sport and Leisure (ISL), société en charge des droits marketing de la Fédération internationale jusqu’à sa faillite en 2001. Il y indique que l’ancien président brésilien de la FIFA Joao Havelange (1974-1998), son gendre Ricardo Teixeira (démissionnaire du comité exécutif et de son poste de dirigeant de la confédération brésilienne de football en 2012) et le patron de la Confédération sud-américaine (Conmebol) Nicolas Leoz ont touché des « pots-de-vin » d’ISL entre 1992 et 2000. Quelques jours avant la publication du rapport d’Eckert, Havelange avait quitté son poste de président honoraire de la FIFA, imité par Leoz.

Le rapport Garcia

« La conduite du président Blatter a peut-être été maladroite », écrit alors Eckert, se demandant si l’ancien secrétaire général de la FIFA (1981-1998) « savait ou aurait dû savoir au fil des années qu’ISL, avant sa faillite, avait versé des pots-de-vin à d’autres dirigeants ». Il estime alors que le Suisse n’a commis « aucune faute éthique ou criminelle ».

En septembre 2014, le patronyme du magistrat allemand revient sur le devant de la scène alors qu’il se voit remettre le rapport d’enquête de 350 pages réalisé par Garcia sur l’attribution controversée des Mondiaux 2018 et 2022, respectivement à la Russie et au Qatar.

Le 13 novembre 2014, Eckert publie une note de 42 pages sur la base du rapport Garcia. Dans sa synthèse, il estime que si des « conduites douteuses » ont bien accompagné le processus d’attribution, elles ne peuvent être qualifiées de faits de « corruption » et remettre en cause le scrutin de 2010.

A la lecture de cette synthèse « erronée », Michael J. Garcia manque de s’étrangler. Au nom de la « transparence », ce dernier réclame en vain la publication intégrale de son rapport avant de voir son appel rejeté. En décembre 2014, il démissionne de son poste de président de la chambre d’instruction, remplacé par son bras droit, Cornel Borbély. Le comité exécutif de la FIFA décide alors de divulguer ledit rapport Garcia « sous une forme appropriée » et après les procédures individuelles en cours.

A ce jour, il n’a pourtant jamais été publié, restant à la disposition du procureur suisse Michael Lauber, qui enquête sur l’attribution des Mondiaux 2018 et 2022. Le document est actuellement conservé, dans un coffre, par Marco Villiger, le secrétaire général adjoint et directeur juridique de la FIFA.

« Infantino veut le pouvoir absolu »

L’éviction des deux coresponsables du comité d’éthique a provoqué une vague d’indignations. « La gouvernance à la FIFA est simplement en train de disparaître », s’alarme, en « off », un ex-cadre de la Fédération.

« La façon avec laquelle Infantino prend le pouvoir total est stupéfiante, assure au Monde le juriste suisse Mark Pieth, ex-patron du comité de gouvernance de la FIFA, qui a créé ce comité d’éthique bicaméral, en 2012. Il veut le pouvoir absolu et craint que quelqu’un comme Eckert se mette sur sa route pour le bloquer. Infantino veut être réélu dans trois ans, en 2019. Il n’a donc pas le temps. Son style est pire que celui de Blatter, qui avait une certaine élégance dans l’utilisation de son pouvoir. »

Désireux de régler leurs comptes, Eckert et Borbely tiendront une conférence de presse, mercredi matin, à Manama. Avant un congrès qui s’annonce explosif.