Le groupe des 82 lycéennes de Chibok, gardées prisonnières par la secte islamiste Boko Haram pendant trois ans, attendent d’être relâchées, le 6 mai 2017, en échange de trois commandants tchadiens du groupe terroriste. Photo prise  près de Kumshe, au Nigeria, par l’avocat Zanah Mustapha, qui a négocié cette libération avec la secte. | Zanah Mustapha/REUTERS

La répression militaire et les divisions internes du groupe jihadiste Boko Haram, ainsi que l’état de santé du président du Nigeria, ont rendu possible la libération de 82 lycéennes de Chibok kidnappées il y a trois ans, après des semaines d’intenses négociations.

Des sources proches de Boko Haram affirment que les jeunes filles ont été échangées contre trois commandants tchadiens du groupe jihadiste. Après « au moins six semaines de négociations », selon une source sécuritaire y ayant participé, elles ont été remises à des membres neutres du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) dans une forêt proche de la ville de Banki (nord du Nigeria), à la frontière avec le Cameroun.

L’impact de la santé du président

Ces adolescentes font partie des 276 jeunes filles enlevées dans leur lycée par le groupe jihadiste en 2014, suscitant une vague d’indignation internationale.

« Il y a eu des va-et-vient incessants entre Abuja et Boko Haram, parfois au jour le jour », explique une source sécuritaire. « Boko Haram réclamait de l’argent, pas la libération de prisonniers. »

Selon cette source, « l’issue favorable a été dépendante de l’état de santé du président (nigérian Muhammadu) Buhari », qui s’est envolé pour Londres dimanche soir pour une durée indéterminée, officiellement pour des « examens médicaux », quelques minutes après avoir reçu les jeunes filles à sa résidence d’Abuja. En début d’année, il avait déjà passé huit semaines en Grande-Bretagne pour raisons médicales.

L’avocat nigérian Zannah Mustapha, ayant servi d’intermédiaire pour les négociations avec Boko Haram. Ici lors d’un entretien avec l’agence Reuters. | AFOLABI SOTUNDE / REUTERS

Affaibli par une maladie dont la nature reste inconnue, Muhammadu Buhari avait été porté au pouvoir un an après l’enlèvement des jeunes filles. Leur libération et la lutte contre Boko Haram faisaient partie des priorités de son mandat.

Si cette issue heureuse a pu être possible, c’est également parce que le groupe jihadiste est fortement miné par les attaques de l’armée nigériane sur ses bases, et par de graves divisions internes.

Un bombardement décisif

Le chef du groupe Abubakar « Shekau a fait traîner inutilement les négociations pour peser davantage », explique une autre source proche de Boko Haram sous couvert d’anonymat, qui affirme qu’un négociateur jihadiste est resté près de la frontière camerounaise en attendant l’ordre de Shekau de finaliser l’échange.

Selon cette source, le bombardement par l’armée d’un rassemblement de combattants dans le village de Balla (nord-est) le 28 avril l’a finalement forcé à conclure l’accord : Shekau « avait perdu de nombreux commandants et avait vraiment besoin de les remplacer ».

Depuis Balla, des avions militaires ont pourchassé les combattants, les obligeant à se déplacer, assure encore cette source.

Un officier supérieur de l’armée a confirmé que leurs mouvements étaient sous « surveillance constante ». « Nous avons amélioré nos mécanismes de renseignement et nos méthodes d’infiltration, qui nous aident grandement dans les opérations de contre-insurrection », d’après le militaire.

Des luttes intestines au sein de Boko Haram

A l’apogée de sa puissance en 2014, Boko Haram contrôlait de vastes territoires dans le nord-est du Nigeria. Mais avec la mise en place d’une coalition d’armées régionales, et grâce à une réelle volonté politique du président Buhari après des années d’inaction de son prédécesseur, le groupe a été chassé de la plupart des localités occupées.

Parallèlement, les luttes de pouvoir internes ont contribué à affaiblir l’influence de Shekau. En août dernier, le groupe Etat islamique, auquel Boko Haram avait prêté allégeance en 2015, a nommé le jeune Abou Mosab Al Barnaoui (23 ans), fils du fondateur de Boko Haram, en remplacement de Shekau à la tête du groupe.

Ce dernier ayant refusé le changement de leadership, des affrontements meurtriers opposent désormais régulièrement les deux factions.

Mamman Nur, ancien allié de Shekau devenu le bras droit de Barnaoui, aurait réussi à rallier de nombreux combattants jusque-là fidèles à son rival. Cerveau de l’attentat perpétré en août 2011 contre un bâtiment de l’ONU dans la capitale fédérale Abuja, il est considéré par les experts comme le véritable chef de la faction Barnaoui et jouit d’un certain prestige dans les rangs de Boko Haram.

« Nur fait de l’ombre à Shekau parce que ses hommes sont mieux entraînés et organisés. Ils matent presque toujours les combattants de Shekau », affirme Abubakar Gamandi, responsable du syndicat des pêcheurs de l’Etat de Borno (nord-est), généralement très bien renseigné.

Les lycéennes de Chibok, symboles du conflit sur la scène internationale et précieuses monnaies d’échange, étaient la dernière carte de Shekau. Et pour M. Buhari, sa plus grande victoire politique.