Le parquet de Paris a ouvert, mardi 9 mai, une enquête préliminaire pour violation du secret professionnel et recel à la suite de la publication sur les réseaux sociaux de fiches de police d’individus signalés pour radicalisation, a annoncé au Monde une source judiciaire. Cette enquête vise notamment la publication de quatre fiches ou avis de recherches sur le compte Twitter de Jean-Paul Ney, « journaliste » aux méthodes controversées.

Celui-ci n’en est pas à son coup d’essai. Il a déjà été condamné en octobre 2016 pour « recel de violation du secret de l’enquête » après avoir publié sur Twitter, le soir des attentats contre Charlie Hebdo du 7 janvier 2015, les avis de recherche des frères Kouachi et d’un certain Hamyd M., qui ne sera pas inquiété dans ce dossier, accompagnés de ce commentaire : « On vous tiens [sic] enfants de putains. »

Sept mois après sa condamnation, Jean-Paul Ney a récidivé, publiant quatre nouvelles fiches d’individus recherchés, une le 20 avril et trois autres le 6 mai. Cette nouvelle enquête a été confiée à l’Inspection générale de la police nationale (IGPN). Elle s’attachera à déterminer l’origine des fuites – une mission a priori empêchée par la protection du secret des sources dont bénéficient les journalistes – et plus vraisemblablement les suites judiciaires à donner à leur diffusion.

L’attentat des Champs-Elysées

Jeudi 20 avril, trente minutes à peine après l’assassinat d’un policier sur l’avenue des Champs-Elysées, à Paris, Jean-Paul Ney avait publié sur son compte Twitter le nom et la photo d’un délinquant belge, qu’il présentait comme un suspect de l’attaque : « Attentat sur les Champs, urgent la police recherche #YoussoufElOsri est arrivé depuis la Belgique avec le Thalys. » Cet avis de recherche était accompagné d’un message des autorités belges alertant leurs homologues français que cet individu « très dangereux » serait en route vers la France.

Ce ressortissant belge, impliqué dans des affaires de stupéfiants, n’était pas le tueur des Champs-Elysées et n’a pas jamais été inquiété dans l’enquête : il était en Belgique le soir des faits, et se rendra spontanément au commissariat d’Anvers le lendemain pour clamer son innocence. Le nom du tueur sera publié quelques heures plus tard sur un autre compte Twitter, sous le pseudonyme d’« Aldo Sterone », un sympathisant du Front national d’origine algérienne installé en Grande-Bretagne. L’enquête ouverte mardi est également susceptible de viser cette fuite.

L’opération de la gare du Nord

Samedi 6 mai, à 20 h 54, Jean-Paul Ney publie de nouveau sur Twitter les fiches de deux ressortissants belges et d’un Afghan. Trois hommes signalés le jour même par des services de renseignements – notamment belges – à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) du fait qu’ils « pourraient rejoindre la France pour y perpétrer un attentat au nom de l’organisation Etat islamique ». Parmi eux figure un homme originaire de Verviers, présenté par la presse belge comme « le nouvel Abaaoud », en référence au coordinateur des attentats du 13 novembre 2015 à Paris.

La diffusion de ce type de fiches aux services de police permet en principe d’organiser les recherches de manière discrète, de façon organisée, sans risquer de mouvements de panique, et n’ont évidemment « aucune vocation à être rendues publiques », explique au Monde une source judiciaire. Leur diffusion avait déclenché une tempête de protestation sur Twitter de la part d’anonymes et de personnes travaillant dans la lutte antiterroriste.

Elle compliquera surtout considérablement le travail des enquêteurs. Durant le week-end, les trois hommes ont en effet été signalés, à tort, en plusieurs endroits du territoire, notamment du côté de Marseille, en gare de Bordeaux Saint-Jean, et même dans le Cantal à peu près au même moment… Selon nos informations, des policiers expérimentés ont même cru les apercevoir à Paris, dimanche, dernière journée de la campagne électorale, dans un quartier hautement surveillé.

Fausse alerte

Les photos présentes sur ces fiches étant de qualité médiocre, et pour certaines datées, elles sont d’une utilité toute relative pour les non-initiés, une des nombreuses raisons pour lesquelles elles sont à usage strictement policier.

La diffusion publique de ces fiches conduira même à un petit moment de panique, lundi 8 mai dans la nuit. Sur son compte Facebook, une guichetière de la SNCF tombe sur les photos des trois individus, qui circulent sur les réseaux sociaux. Elle croit se souvenir avoir repéré plus tôt dans la journée, vers 18 heures, trois hommes suspects venus lui acheter des billets de train pour Paris. Elle est « formelle », il s’agit bien d’eux.

Elle donne l’alerte, et précise l’heure du train : le TGV partant de Valenciennes à 21 h 15, arrivée dans la capitale à 23 h 11. Vers minuit, la gare du Nord est évacuée, ses accès ainsi que les bouches de métro bouclées, et un vaste dispositif policiers déployé dans le quartier, comprenant des équipes de la brigade de recherche et d’intervention (BRI) et des démineurs.

Sur les réseaux sociaux, la rumeur d’une prise d’otages en cours gare du Nord prend de l’ampleur. L’opération, dite de « levée de doute », s’achève à 2 heures du matin. Sans aucun résultat. Les suspects n’étaient pas à bord du train.