Al-Qaida chercherait-elle aussi à encourager le passage à l’acte d’individus radicalisés en Occident ? Alors que, des Etats-Unis à l’Europe, le risque terroriste est décrit comme étant à son « maximum » par les services de sécurité, le réseau djihadiste, dont les menaces sont passées au second plan depuis l’irruption de l’organisation Etat islamique (EI) en 2014, cherche à revenir sur le devant de la scène, du moins en paroles.

Pionnière dans l’inspiration et l’activation à distance de « terroristes individuels », Al-Qaida multiplie depuis quelques mois les appels au passage à l’acte. Traqués au Yémen par les Etats-Unis, les dirigeants d’Al-Qaida dans la péninsule arabique (AQPA), la branche yéménite du réseau, qui avait notamment commandité l’attaque de Charlie Hebdo en janvier 2015, s’en prend à nouveau aux pays occidentaux en promouvant, comme l’EI, les « actions individuelles isolées ».

Dans une rare vidéo diffusée dimanche 7 mai et adressée aux « musulmans » établis en Occident, Kassim Al-Raymi, l’émir du groupe, en appelle directement (et au singulier) à « son frère musulman vivant dans les pays de la mécréance » à frapper là où il se trouve.

« Nous ne te considérons pas comme un individu, mais comme un groupe, une brigade, une armée », insiste l’émir d’AQPA, dans une profession de foi que ne renierait pas le « califat » irako-syrien d’Abou Bakr Al-Baghdadi, le chef de l’EI. « Nous formons un seul et même corps. Aujourd’hui, ce corps souffre dans de nombreuses régions, poursuit-il. Vous vivez dans un endroit où vous pouvez nuire à notre ennemi. Il vous appartient donc de jouer ce rôle. » Et de lister une série de conflits qu’il assimile à une seule guerre, un « djihad global » : l’Afghanistan, l’Irak et la Syrie, la Palestine ou la péninsule arabique.

Rivalité exacerbée avec l’EI

Le rôle d’AQPA et d’Al-Qaida comme inspirateurs d’attaques terroristes visant l’Occident a été complètement éclipsé par l’émergence de l’EI. L’organisation fondée par Oussama Ben Laden a même vu sa rivale reprendre à son compte et amplifier sa stratégie du « moudjahid individuel » : en témoignent les appels de l’ancien porte-parole de l’EI, Abou Mohamed Al-Adnani, à lancer des actions peu sophistiquées, tout comme la volonté tenace du groupe irako-syrien d’activer des sympathisants lointains sans liens opérationnels avec l’organisation.

Cette dernière vidéo d’AQPA illustre donc aussi une volonté de récupérer son « concept » dans un contexte de rivalité exacerbée entre les deux mouvements au niveau international. La déclaration de l’émir yéménite, sous-titrée en anglais, est d’ailleurs présentée sous le titre « Instructions d’Inspire », du nom d’une revue d’AQPA considérée comme la bible du djihadiste solitaire.

Lancé en juillet 2010, ce magazine a marqué en son temps un tournant dans la stratégie de communication et de recrutement d’Al-Qaida. Bien avant l’apparition des revues de propagande multilingues de l’EI – Dabiq, Roumiya –, Inspire a été le premier trimestriel djihadiste rédigé en anglais s’adressant à un large public via Internet, égrenant des contenus politiques et théologiques, ainsi que des conseils pratiques pour recourir à la violence. Derrière le concept d’Inspire, Anouar Al-Aulaki, un imam radical yéménite né aux Etats-Unis, qui fut numéro trois d’AQPA jusqu’à sa mort en octobre 2011. L’accent est alors mis sur le recrutement en Occident, et plus particulièrement sur le territoire américain.

« Fais facile et simple »

On retrouve ce souci spécifique des Etats-Unis dans l’exemple mis en avant et loué le 7 mai par l’émir yéménite d’AQPA : Omar Mateen, l’auteur de la tuerie d’Orlando (Floride) qui a fait 49 morts dans une boîte de nuit le 12 juin 2016 – même si l’assaillant, un Américain d’origine afghane, avait alors prêté allégeance à l’EI lors d’un échange téléphonique avec les forces de l’ordre.

« Ne te complique pas la tâche, fais facile et simple à l’image de ce qu’a accompli notre frère Omar : il a pris une kalach’puis les a attaqués », proclame Kassim Al-Raymi à l’intention des sympathisants djihadistes. La tuerie d’Orlando n’est pas la première attaque inspirée ou revendiquée par l’EI à s’attirer les louanges d’AQPA, qui a salué l’attentat de Nice commis par Mohamed Lahouaiej Bouhlel et la course folle de la voiture d’Adrian Russell Ajao à Londres, le 22 mars. Ces deux attaques ont été revendiquées par l’EI sans qu’on puisse établir un lien entre les assaillants et ce groupe.

Si elle a été incapable de commanditer une attaque d’envergure en Occident depuis 2015, AQPA peut revendiquer la paternité du mode d’action – foncer dans la foule avec un véhicule –, qui a été théorisé par Inspire. Un rappel, parmi d’autres, de sa capacité de nuire.