« J’avoue que je ne sais pas trop quoi en penser. Même avec Prometheus, j’avais pris une claque visuelle malgré les problèmes de scénario, mais là… je ne sais pas si je dois aimer ou détester ». Comme bon nombre de spectateurs de l’avant-première d’Alien Covenant au Grand Rex à Paris, lundi 8 mai, Arnaud, 28 ans et fan de la saga, ne sait pas trop sur quel pied danser.

Le nouveau film de Ridley Scott, son troisième au sein de la saga qu’il a inventée, sort mercredi 10 mai en salles, et c’est peu dire qu’il ne correspond pas à ce que la Fox a présenté dans sa bande-annonce, à savoir une sorte de réinterprétation du tout premier épisode. Prolongement direct de Prometheus (2012), qui introduisait les origines de la saga en élargissant son univers, Alien Covenant, sixième film de la saga et second dans la chronologie interne d’Alien, se pose plutôt comme un opus explicatif, qui fait la transition avec la tétralogie originale (Alien : le huitième passager, Aliens le retour, Alien 3, Alien la résurrection). Une mission qui semblait impossible.

Alien Covenant Trailer Officel - VOSTFR

Une saga polymorphe

Jusqu’au retour de Ridley Scott aux commandes de la saga, la tétralogie Alien se composait surtout de films qui tournaient autour de conventions communes – une créature de l’espace sanguinaire, aux multiples formes et évolutions, qui se sert des humains comme hôtes pour se reproduire. Quatre films bâtis sur un canevas similaire – parfois même répétitif –, fonctionnant par ajouts, mais jamais par explication. Même Prometheus, présenté comme une préquelle introductive, ouvrait de nouveaux pans de l’univers sans répondre à certaines interrogations des fans, comme l’identité de la toute première victime de l’alien.

Les Ingénieurs, extraterrestres bâtisseurs introduits dans  « Prometheus », ont apporté à la saga un nouveau niveau de lecture. | 20TH CENTURY FOX

Tout le contraire d’Alien Covenant, qui prend à bras-le-corps tout l’héritage de la tétralogie et de sa préquelle pour tenter de leur donner de raccorder les fils. « J’ai toujours été frustré que personne n’ait jamais posé les cinq ou six questions qui comptaient », explique Ridley Scott au Monde à propos de son œuvre de 1978 :

« Qu’est-ce que c’était que ce vaisseau sur la planète où se posait le Nostromo ? Qui en était le pilote ? Qui était dans le scaphandre ? Qu’est-ce que c’était que cette planète ? Pourquoi des œufs ? Pourquoi un ADN évoluerait-il aussi vite pour produire pareil monstre ? »

Cette nouvelle entrée de la série, sûrement la plus bavarde, n’hésite ainsi pas à multiplier les références aux autres épisodes, quitte à larguer les néophytes. « J’avoue que par moments j’étais largué, je ne comprenais pas tout », reconnaissait ainsi Guillaume, l’un des rares spectateurs à être venu sans connaître la saga par cœur, ni même avoir vu tous les films canoniques.

L’ombre de la prélogie « Star Wars »

En revenant plusieurs décennies plus tard sur son propre univers, Ridley Scott s’engage dans une voie très risquée : celle de George Lucas, à qui les fans de Star Wars n’ont toujours pas pardonné les poussifs épisodes I et II. A l’époque, le film La menace fantôme avait notamment brisé un mythe en tentant d’expliquer la Force, cette mystérieuse puissance qui irrigue l’univers et que maîtrisent les Jedi, par de déprimants micro-organismes, les midi-chloriens, présents en plus ou moins grande quantité dans le sang. « Qu’est-ce ce qui est arrivé au Star Wars que je connaissais ? », se lamentera en 2012 un groupe de fans, la « team Teddy », dans une parodie du tube Somebody that I used to know, vue près de 25 millions de fois sur YouTube.

'The Star Wars That I Used To Know' - Gotye 'Somebody That I Used To Know' Parody

« Qu’est-ce qui est arrivé aux Alien que je connaissais ? », pourrait aujourd’hui chanter le fan de la tétralogie originale. Tout au long du film, le réalisateur se permet des entorses manifestes au comportement attendu des xénomorphes, et s’aventure même sur des terres scénaristiques flirtant dangereusement avec l’histoire des midi-chloriens de George Lucas.

Chez les critiques et les fans, nombreux sont ceux qui font désormais l’analogie entre les deux réalisateurs sur le retour. « Ridley Scott est en train de se transformer horriblement en George Lucas », pointe ainsi l’un d’eux sur Twitter, reprenant une idée très partagée.

Ridley Scott, deus ex machina

Si la comparaison est tentante, elle repose toutefois sur un malentendu. Alors que Star Wars a toujours été le bébé de George Lucas, qui en possédait jusqu’en 2012 les droits, Ridley Scott n’a jamais été contractuellement qu’un exécutant. Alien est en effet l’unique propriété de la Fox, raison qui lui a permis de changer de réalisateur à chaque nouveau film – au grand regret de Ridley Scott lui-même.

Le résultat, ce sont des films qui peinent à s’enchaîner, comme Alien 3 qui commence par tuer les héros introduits par Aliens : le retour. Ou des impasses scénaristiques de plus en plus insurmontables, comme ce même Alien 3, qui s’achève par le suicide de l’héroïne emblématique, Ellen Ripley (Sigourney Weaver). Ou encore Alien : la résurrection, dont la fin ne facilite guère la tâche d’une éventuelle suite. Alien 5, un temps envisagé, devait d’ailleurs effacer les troisième et quatrième épisodes par commodité scénaristique, avant d’être récemment annulé.

Un mythe sur mesure pour expliquer, rétroactivement, toutes les loufoqueries introduites

Avec Alien Covenant, Ridley Scott fait pari le donner à la saga la cohérence qu’industriellement elle n’eut jamais. Il bâtit un mythe sur mesure pour expliquer, rétroactivement, toutes les loufoqueries introduites par ceux qui l’ont suivi – de l’idée que l’alien mue en fonction de l’espèce qu’il parasite, apportée par Alien 3, au rôle clé joué par la mutation de l’ADN, thématisé dans Alien : la résurrection. Une entreprise tardive, mais qui, au prix de contorsions scénaristiques inattendues et de nouveaux entrants étonnants dans le bestiaire de la saga, donne enfin une histoire et une paternité à la plus célèbre créature du cinéma hollywoodien – quitte à désarçonner les fans de la première heure.

Tout se passe comme si, à 80 ans bientôt, Ridley Scott devenait enfin l’auteur avec un grand A de cet univers qu’il a bâti sans en avoir les droits, ni le droit d’en piloter les suites. Par une jolie mise en abîme, le film thématise lui-même avec insistance la figure du démiurge fou, celui qui crée autant qu’il détruit. « Personne ne t’aime autant que moi » – susurre à un moment ce personnage à un congénère avant de lui donner la mort. Et personne n’aime autant Alien que Ridley Scott.