Le nouveau président sud-coréne, Moon Jae-in, à Séoul le 10 mai. | JUNG YEON-JE / AFP

Entré en fonctions mercredi 10 mai, à midi, après sa prestation de serment à l’Assemblée nationale, au lendemain de sa large victoire à l’élection présidentielle, avec 41,08 % des voix, loin devant le conservateur Hong Jun-pyo (24 %) et le centriste Ahn Cheol-soo (21,4 %), Moon Jae-in a promis de « tout donner pour créer une nouvelle Corée » et d’être le « président de l’unité ». Issu du Parti démocrate, il est le premier dirigeant progressiste après une décennie de pouvoir conservateur.

Le dix-neuvième président sud-coréen reste favorable à l’alliance américano - sud-coréenne et au renforcement des moyens de défense, à l’heure où Pyongyang multiplie les tirs de missiles et pourrait se préparer à un sixième essai nucléaire. Le nouveau chef de l’Etat promeut cependant la relance du dialogue avec la Corée du Nord, en rupture avec la politique de fermeté de ses prédécesseurs conservateurs Lee Myung-bak (2008-2013) et Park Geun-hye (2013-2017), qu’il juge inefficace.

Reprise de la coopération économique

M. Moon s’est dit prêt à se rendre en Corée du Nord. « Si besoin, je m’envolerai immédiatement pour Washington. J’irai à Pékin et j’irai à Tokyo. Si les conditions s’y prêtent, j’irai à Pyongyang », a déclaré le nouveau président devant l’Assemblée nationale. Certes critique de « la dureté du régime dictatorial de la Corée du Nord », il pense que « la Corée du Sud devrait se rapprocher du peuple nord-coréen pour réaliser un jour la réunification pacifique ». « Nous devons reconnaître Kim Jong-un comme son dirigeant et comme notre partenaire de dialogue », a-t-il ajouté.

Il défend la reprise de la coopération économique et souhaite rouvrir la zone industrielle de Kaesong, juste au nord de la zone démilitarisée, où des entreprises sud-coréennes employaient des travailleurs nord-coréens. La présidente déchue, Park Geun-hye, avait fait fermer ce complexe à la suite du quatrième essai nord-coréen de janvier 2016. Le nouveau président envisage également de relancer les visites touristiques au mont Kumgang, interrompues en 2009 après qu’une touriste sud-coréenne y fut abattue par des soldats du Nord.

Son positionnement rappelle la politique dite « du rayon de soleil » (sunshine policy), mise en place par le président Kim Dae-jung (1998-2003) et poursuivie par Roh Moo-hyun (2003-2008), dont M. Moon fut le directeur de cabinet et qui organisa, en octobre 2007, un sommet avec le dirigeant nord-coréen Kim Jong-il (1941-2011), père de Kim Jong-un.

Cette lecture des relations intercoréennes n’était déjà guère appréciée à Washington. Elle pourrait placer Séoul en porte-à-faux vis-à-vis des Etats-Unis, qui exigent une application stricte des sanctions et ont intensifié ces dernières semaines les gesticulations militaires, en envoyant notamment un porte-avions, le Carl-Vinson, au large de la péninsule.

En campagne, M. Moon a déclaré que son pays devait savoir dire non aux Etats-Unis. Depuis l’entrée en fonctions, en janvier, de Donald Trump, les raisons de le faire ne manquent pas, qu’il s’agisse de sa critique en ce qui concerne l’accord bilatéral de libre-échange ou ses sorties contradictoires sur la Corée du Nord. M. Trump a également demandé à Séoul de payer pour le déploiement du bouclier Thaad, alors qu’une partie de l’opinion sud-coréenne considère que ce système antimissile aggrave les tensions sur la péninsule.

La part de pragmatisme de la nouvelle administration américaine pourrait toutefois limiter les divergences entre Séoul et l’administration américaine, qui s’est dite, mardi, « impatiente » de travailler avec M. Moon. Le 8 mai, à Oslo, en Norvège, a eu lieu une rencontre entre diplomates nord-coréens et experts américains. Une semaine plus tôt, le 1er mai, Donald Trump avait tempéré son positionnement selon lequel « toutes les options sont sur la table », en disant qu’il serait « honoré » de rencontrer Kim Jong-un « si les conditions le permettent ».

Inquiétude de Washington

Conscient du risque nord-coréen et désireux de rassurer l’allié américain, M. Moon s’est engagé à ne pas prendre d’initiatives importantes sans en discuter au préalable avec les Etats-Unis, de sorte qu’ils n’ont pas à craindre une relance du dialogue intercoréen qui leur échapperait. Une rencontre avec M. Trump pourrait intervenir rapidement.

En revanche, les Américains redoutent une dégradation des relations de la Corée du Sud avec le Japon. M. Trump avait un temps espéré un rapprochement entre alliés des Etats-Unis dans la région pour faire front commun, mais le Parti démocrate dont est issu M. Moon est critique envers un Archipel peu enclin au repentir à propos de ses exactions passées, notamment lors de la colonisation de la péninsule coréenne (1910-1945).

M. Moon pourrait revenir sur l’accord conclu en 2015, concernant les femmes dites « de réconfort », forcées de se prostituer pour l’armée impériale nippone sous l’occupation japonaise. Contre le versement par Tokyo de plus de huit millions d’euros à un fonds destiné aux survivantes, le gouvernement conservateur alors au pouvoir à Séoul s’était engagé à laisser ce sujet épineux de côté. Réagissant à l’élection de M. Moon, M. Abe a toutefois appelé à la coopération face « aux défis communs » et « pour la paix et la prospérité de la région ».

Washington s’inquiète également de la possibilité d’un rapprochement entre Pékin et Séoul, née de l’élection de M. Moon. La Chine avait pris des mesures de rétorsion (boycottage de commerces sud-coréens, limitation des visites touristiques de Chinois en Corée, annulation de concerts de musique K-pop), après l’installation du système antimissile américain. Moon Jae-in souhaitant lancer un débat parlementaire sur le Thaad et relancer les échanges avec Pyongyang, il est perçu favorablement par la Chine.