Tout commence par une banale camionnette Bedford noire « incroyablement lente et capricieuse », achetée 20 livres en 1965 par quatre étudiants anglais. Leur groupe de rock progressif à tendance psychédélique « fait des choses étranges » sur une scène du Londres underground où des spots illuminent la scène au rythme de leur batterie. Pendant trois décennies, Pink Floyd va inventer des sons, expérimenter des techniques visuelles et musicales, perfectionner son art du spectacle total, conquérant sans grandiloquence la jeunesse du monde avec ses textes corrosifs et ses atmosphères planantes.

« The Pink Floyd Exhibition: Their Mortal Remains » (« leurs dépouilles mortelles » ), l’exposition présentée jusqu’au 1er octobre au Victoria & Albert Museum de Londres, immerge le visiteur dans cet univers à la fois familier et lointain avec autant de force que celle consacrée à David Bowie. A une différence près, Roger Waters, Richard Wright, Nick Mason et Syd Barrett (remplacé en 1968 par David Gilmour) ne se sont jamais mis en avant, s’effaçant devant l’essentiel : les émotions sensorielles, les ambiances, les messages qui ont fait vibrer trois générations. Quarante-quatre ans après sa sortie, l’album Dark Side of the Moon, frappé de son célèbre prisme, se vend encore chaque semaine à 7 000 exemplaires.

Vue de l’exposition « The Pink Floyd Exhibition: Their Mortal Remains » au Victoria & Albert Museum à Londres, le 9 mai 2017. | STEFAN WERMUTH/REUTERS

L’aventure sidérante des tournées

Le visiteur-spectateur a vite fait d’oublier qu’il a coiffé un casque diffusant les contenus audio évoluant au fil de la visite. Son voyage est d’autant plus passionnant qu’il croise une extraordinaire variété d’expressions artistiques et renvoie aux tribulations idéologiques et techniques d’un demi-siècle fertile. De nombreux objets – guitares, affiches, pochettes, lettres, croquis –, des vidéos et des extraits musicaux replacent l’aventure des Pink Floyd dans l’Angleterre à la fois créative et déprimée des années 1960 et 70, puis dans l’aventure sidérante de tournées mondiales à grand spectacle.

Deux simples pochettes de disques dévoilent le secret des origines : l’association de deux musiciens de blues écoutés avec passion par Syd Barrett, Pink Anderson et Floyd Council, a donné son nom à un groupe dont on découvre aussi les profondes racines anglaises. Le nom de leur premier album sorti en 1967, et dont l’exposition célèbre le cinquantième anniversaire, The Piper at the Gates of Dawn (Le Joueur de pipeau aux portes de l’aube) fait référence à un classique de la littérature enfantine. Dix ans plus tard, Animals renvoie à Animal Farm, de George Orwell. « Chiens, moutons, cochons, nous sommes des animaux voués à l’abattoir », explique, l’air de rien, Roger Waters dans une vidéo. La célèbre centrale électrique à quatre cheminées de Battersea Park qui vient alors de fermer, symbolise la décrépitude économique de l’Angleterre. Ironiquement, le lieu est aujourd’hui en cours de « réhabilitation » pour devenir un ensemble immobilier de grand luxe à l’image du paradis pour super-riches qu’est devenu Londres, symbole des flots d’argent qui cliquettent dans Money.

L’immense cochon gonflable dans le ciel londonien pour faire la promotion de l’exposition consacrée aux Pink Floyd au Victoria & Albert Museum à Londres, le 10 mai 2017. | NEIL HALL/REUTERS

Immense cochon gonflable

La section de l’exposition consacrée à la pochette d’Animals mérite à elle seule le voyage. Les aventures cocasses de l’immense cochon gonflable, qui s’envola vers le Kent au lieu de rester sagement arrimé aux quatre cheminées de l’usine de Battersea Park, valent leur pesant de porridge. Les Pink Floyd savaient créer l’événement. « Le jour où un cochon a vraiment volé », a titré un journal le lendemain. Le secret des visuels des pochettes, créés par l’atelier de graphisme Hipgnosis, est aussi révélé, avec son inspiration surréaliste assumée. Des planches contact d’origine racontent la prise de vue – sans trucage – de la poignée de mains entre hommes d’affaires dont l’un prend feu, qui orne la pochette de Wish You Were Here (1975). Au verso, un industriel du disque sans visage à la manière de Magritte, complète le message sur l’inhumanité du monde capitaliste. Dénoncé comme conformistes par les punks, les « Pink » font la fortune des maisons de disque mais ne donnent pas dans la bluette. Ils parlent de l’argent, de la solitude, de l’éducation, de la folie et de la mort.

Les ambitions monumentales des Floyd remplissent finalement l’espace du Victoria & Albert Museum où est reproduit, sur 22 mètres de long, le mur de parpaings qui, sur scène, s’écroulait au fil du spectacle The Wall. Trois des quatre fondateurs du groupe ont fait des études d’architecture. Les dispositifs ambitieux qu’ils ont développés, leur capacité à animer l’espace d’objets géants gonflables et de projections vidéo, n’y est probablement pas étrangère. Expérience finale éblouissante, on assiste au dernier concert donné par le groupe au complet en 2005, dans une grande salle malheureusement rectangulaire tapissée d’écrans géants. Avec le sentiment troublant d’avoir vécu deux heures dans un autre monde, hors du temps.

Pink Floyd - Their Mortal Remains (Trailer)

« The Pink Floyd Exhibition: Their Mortal Remains ». Vicoria & Albert Museum à Londres, du 13 mai au 1er octobre. pinkfloydexhibition.com