Manifestation devant la Maison Blanche le lendemain du débarquement du directeur du FBI, à Washington, le 10 mai. | JIM WATSON / AFP

En limogeant le directeur du FBI, mardi 9 mai, Donald Trump s’est attiré une avalanche de critiques, et la suspicion que sa décision pourrait avoir été motivée par les investigations sur de possibles liens entre son équipe de campagne et les hackeurs russes qui ont perturbé la campagne présidentielle d’Hillary Clinton. Dans un tchat avec les internautes, Gilles Paris, le correspondant du Monde à Washington, a fait le point sur l’affaire.

FA : Si une enquête était déjà en cours, qu’est-ce que ça change qu’un Comey ou un autre soit à la tête du FBI ?

Gilles Paris. Bonjour, merci pour vos questions. Le 20 mars, lors d’une audition au Sénat, James Comey avait confirmé qu’une enquête était bien en cours pour vérifier si des membres de l’équipe de campagne de Donald Trump avaient ou non communiqué avec les responsables des piratages informatiques ciblant les démocrates, imputés à la Russie par le renseignement américain. Les commissions du renseignement du Congrès, notamment celle du Sénat, travaillent également sur ce dossier en s’appuyant sur les informations collectées par le FBI et le renseignement. Il n’y a donc aucune raison pour que ces investigations s’interrompent.

Rupert-Pupkin : Sur quels faits reposent les hypothèses de collusion entre la Russie et des membres de la campagne Trump ?

Nos informations sont très parcellaires, en grande partie parce que les plus sensibles sont classifiées. Une chose est avérée aux yeux du renseignement américain : le rôle imputé à la Russie dans les « fuites » de WikiLeaks qui ont accompagné les dernières semaines de la campagne. Le rôle éventuel de certains membres de l’équipe Trump dans ces fuites reste une interrogation : ont-ils été informés ? y a-t-il eu concertation ? coopération ? C’est ce que cherche à savoir le FBI. Pour l’instant, aucun élément de preuve n’a jamais été avancé.

Ortie : Ce limogeage est-il une surprise ?

A l’automne 2016, de nombreuses voix, démocrates et républicaines, se sont élevées pour s’interroger sur les méthodes de James Comey ; certains demandant même sa démission. A l’époque, Barack Obama pouvait difficilement prendre cette mesure sans donner l’impression de tordre le bras de la justice, l’administration à laquelle est rattaché le FBI.

C’est le moment choisi qui interroge. La Maison Blanche a assuré mercredi que Donald Trump l’avait envisagé dès son arrivée à la Maison Blanche. Il y aurait eu sans doute moins de critiques en janvier. Quatre mois plus tard, l’éviction de M. Comey est considérée non pas dans le cadre de l’enquête sur Hillary Clinton, mais dans celui de l’enquête sur les interférences russes.

Gloups : Beaucoup de gens établissent un lien avec l’affaire du Watergate. Pourquoi ?

Sans doute à la fois par la brutalité de la décision, et par le soupçon qu’elle alimente. Richard Nixon avait contraint à la démission, le 20 octobre 1973, Archibald Cox, le procureur spécial chargé d’enquêter sur le cambriolage visant de Parti démocrate dans l’immeuble du Watergate, à Washington. Le ministre de la justice, Elliot Richardson, et son adjoint, William Ruckelshaus, avaient alors choisi de démissionner pour montrer leur opposition au cours d’une soirée passée à la postérité comme le « massacre du samedi soir ».

Trumpout : Est-il possible d’envisager une procédure de destitution du président à la suite de cette affaire ?

Donald Trump ne donne aucun signe de lassitude par rapport à sa fonction. Il semble au contraire vouloir réussir, et faire mentir une nouvelle fois ceux qui avaient assuré qu’il ne serait pas candidat, qu’il perdrait, et qu’il serait incapable d’exercer ses fonctions. Il est pour l’instant plus menacé par l’étroitesse de sa base politique que par une controverse en particulier. La réponse est donc négative en l’état de nos connaissances.

Depuis 1968, le président, de même que le Congrès, a la possibilité de limoger le directeur du FBI, à condition de justifier sa décision. C’est pour cela que le ministre adjoint de la justice, Rod Rosenstein, a rédigé un mémo de deux pages centré sur la gestion par James Comey de l’enquête consacrée au serveur privé utilisé par Hillary Clinton lorsqu’elle était secrétaire d’Etat. La règle a donc été respectée par la Maison Blanche.

Axel : Vous évoquez la condition formelle nécessaire au limogeage du directeur du FBI. N’est-il pas étonnant de se contenter d’un « mémo de deux pages » ?

C’est surtout le contenu de ce mémo qui soulève les questions. Comme l’a immédiatement souligné le commentateur conservateur Bill Kristol, il semble avoir été écrit à la va-vite pour étayer a posteriori une décision. La Maison Blanche a défendu la thèse d’une initiative du ministre adjoint de la justice, tout en soulignant que Donald Trump avait perdu confiance depuis longtemps en James Comey, ce qui est un peu contradictoire.

Jean : En quoi consiste la procédure permettant de nommer, comme le demande l’opposition, un procureur spécial chargé de reprendre l’enquête, et quel type de majorité parlementaire est requise ?

Il y a plusieurs hypothèses qui circulent depuis des mois, puisque les démocrates et les républicains se sont alternativement indignés des méthodes de James Comey dans l’enquête visant Hillary Clinton. Compte tenu du fait que le ministre de la justice, Jeff Sessions – un très proche de Donald Trump –, s’est récusé dans le dossier russe, la décision de nommer un procureur spécial reviendrait à son adjoint, Rod Rosenstein. Ce procureur pourrait ensuite être auditionné par le Congrès pour rendre compte de ses travaux.

Les démocrates ont envisagé une autre formule : la création d’une commission d’enquête parlementaire ad hoc, comme celle que les républicains avaient mise sur pied après la controverse sur l’assaut donné à la représentation diplomatique américaine de Benghazi, en septembre 2012. Mais les républicains, majoritaires au Sénat comme à la Chambre des représentants, s’y sont opposés, privilégiant le travail des commissions du renseignement des deux chambres.

Celle du Sénat travaille sur ce dossier sans heurts, contrairement à celle de la Chambre des représentants, où son président républicain, Devin Nunes, a été contraint de se récuser dans le dossier russe pour avoir noué des contacts clandestins avec la Maison Blanche sur un aspect périphérique de l’affaire – les accusations d’espionnage portées par Donald Trump contre son prédécesseur, Barack Obama.

Autremonde : Donald Trump peut-il nommer au poste de directeur du FBI une personne qui lui serait inféodée ou clairement favorable ?

Le FBI supervise un grand nombre d’enquêtes, au-delà de celle liée à la campagne présidentielle. Le successeur de James Comey sera nommé par le président, mais il devra être confirmé par le Sénat, et un choix qui semblerait biaisé aurait les plus grandes difficultés à recueillir une majorité. Au sein du Parti républicain, ce sont d’ailleurs les sénateurs qui ont réagi le moins favorablement à l’éviction de M. Comey.

Benj : Quelle va être la position du Parti républicain si ce sujet ne s’éteint pas ? Le président peut-il perdre le soutien de son propre parti ?

Le Parti républicain continue de soutenir M. Trump, conforté pour l’instant par une base qui continue de le plébisciter, et qui ferait payer cher dans les urnes une éventuelle trahison des caciques conservateurs.