Capture d’écran de l’émission « Mabat LaHadashot », de la Chaîne 1, au moment où la présentatrice, en larmes, a annoncé la fermeture de la chaîne, mardi 9 mai. | Channel 1

Une présentatrice essayant de ravaler ses sanglots, puis une rédaction qui entonne l’hymne national : « Mabat LaHadashot » (« Un coup d’œil sur l’actualité »), l’émission d’information de la télévision publique israélienne Chaîne 1, diffusée depuis quarante-neuf ans, s’est conclue, mardi 9 mai, de façon exceptionnelle. A la hauteur de la gravité du moment.

Une heure plus tôt, la rédaction apprenait qu’elle vivait ses derniers instants. La fin de la chaîne publique était programmée, mais pas de façon si précipitée. L’Autorité de radiodiffusion (IBA) doit être remplacée, le 15 mai, par l’Israeli Public Broadcasting Corporation (IPBC), appelée aussi Kan, une nouvelle entité voulue par le premier ministre, Benyamin Nétanyahou. Une loi en ce sens a été votée en 2014, mais sa mise en musique a été un feuilleton à rebondissements. Il s’achève dans un mélange de fébrilité et d’improvisation.

Officiellement, le chef du gouvernement souhaitait donner un nouvel élan à la télévision publique. Mais les critiques pleuvent sur lui depuis des mois, le soupçonnant de vouloir mettre les médias au pas. La façon abrupte dont la chaîne a interrompu ses programmes est « déshonorable et irrespectueuse », a réagi le cabinet du premier ministre, qui assure n’y être pour rien. Cela ne change pas le fond de l’affaire.

« Intoxication au pouvoir »

Confrontée depuis vingt ans à une redoutable concurrence privée, la chaîne était déficitaire et sa mauvaise gestion documentée. Mais elle était aussi riche de nombreux journalistes reconnus et a participé à la formation civique de générations entières d’Israéliens. Entre un tiers et la moitié des employés d’IBA devraient être réembauchés dans la nouvelle corporation.

« L’intoxication au pouvoir a rendu fous les destructeurs de la liberté de la presse », a réagi l’ancien premier ministre Ehud Barak, après l’interruption des programmes de l’IBA. De son côté, Moshe Yaalon, ancien ministre de la défense de M. Nétanyahou, a établi une comparaison entre ce dernier et le président turc, Recep Tayyip Erdogan. Le journaliste Ben Caspit, tout en dénonçant dans le quotidien Maariv la brutalité de la mesure, qui n’a pas permis aux journalistes de saluer convenablement les téléspectateurs, a néanmoins reconnu que la chaîne périclitait depuis longtemps. Il l’a qualifiée de « dinosaure avec deux mille employés, qui coûte des milliards et qui recueille 3 % d’audience les bons jours ».

Mais, au lieu de lancer une nouvelle chaîne moderne, en remplacement de la « 1 », le gouvernement a créé une usine à gaz. Il a décidé, après un conflit au sein de la coalition de droite et des tergiversations pendant six mois, d’en faire naître deux directoires distincts : l’un pour les programmes généraux ; l’autre pour l’information, qui sera diffusée sur la chaîne et sur Radio Israel. Cet arbitrage a été validé par la Knesset (Parlement) à 3 heures du matin, dans la nuit de mercredi 10 à jeudi 11 mai.

« Gardien de la démocratie »

Ce choix, dit « de compromis », a été fait à l’issue d’un bras de fer inédit entre M. Nétanyahou et son ministre des finances, Moshe Kahlon (parti Kulanu), engagé lorsque le chef du gouvernement a soudain voulu geler la mise en route de la réforme. Il estimait, selon la presse israélienne, que le contrôle politique sur les programmes d’information de la future entité n’était pas assez garanti. Son ministre, lui, au vu des sommes déjà engagées, s’y est refusé. M. Nétanyahou a brandi alors la menace d’élections anticipées, suscitant l’effarement des membres de sa coalition.

« Dès le moment où j’ai pris mes fonctions, je me suis dressé comme le gardien de la démocratie, de la Cour suprême et de la responsabilité des fonds publics », disait Moshe Kahlon à la fin de mars, en présentant le compromis trouvé avec M. Nétanyahou, qui a nécessité une intervention du procureur général, Avichai Mendelblit.

M. Nétanyahou a deux cibles favorites sur le plan intérieur : les organisations non gouvernementales dites « de gauche » et les journalistes. Au cours des vœux annuels qu’il présente à la presse étrangère, à la fin de décembre, le premier ministre fut interrogé sur la raison pour laquelle il attaquait ainsi les journalistes israéliens. « Je ne sais pas, c’est divertissant », répondit, de façon sarcastique, le premier ministre.

Il lui arrive de prendre nommément les journalistes à partie. En novembre 2016, ce fut le tour d’Ilana Dayan, la célèbre présentatrice de l’émission « Uvda » (« Fait ») sur la Chaîne 2, après un long reportage très sévère consacré à l’entourage de M. Nétanyahou. « Il est temps de démasquer Ilana Dayan, qui a de nouveau prouvé qu’elle n’avait pas la moindre goutte d’intégrité », écrivit en réponse le premier ministre dans un long communiqué, que la journaliste lut à l’antenne, dans son intégralité. Le texte l’accusait même de chercher à faire chuter le gouvernement pour favoriser un retour de la gauche au pouvoir.

« Fausse propagande »

Quelques semaines plus tard, ce fut au tour du journaliste Raviv Drucker, présentateur de l’émission « La Source », d’être attaqué. Il « envoie en permanence des ballons d’air chaud contre ma famille et moi », écrivit le premier ministre sur sa page Facebook, élargissant ses critiques contre toute la chaîne. « Channel 10 diffuse de la fausse propagande contre moi et ma famille chaque soir, dans le but de faire tomber un premier ministre du Likoud. »

Cette lecture conspirationniste et politique de tout travail journalistique défavorable est aussi apparue dans l’une des enquêtes judiciaires mettant en cause M. Nétanyahou, dont l’issue n’est pas encore connue. On y découvrait les tractations téléphoniques passées avec le propriétaire milliardaire du quotidien Yediot Aharonot, Arnon Mozes. M. Nétanyahou souhaitait obtenir une couverture plus favorable de son action. Il proposait en échange d’affaiblir la diffusion du quotidien gratuit Israel Hayom, qui lui est acquis.