« Les lapins crétins », un des plus grands succès à l’international du jeu vidéo français ces dix dernières années (image tirée de la série animée). | Ubisoft

Après la convalescence, la reconquête. L’industrie du jeu vidéo française, passée par pertes et profits au milieu des années 2000, se donne désormais comme objectif de « redevenir le pays le plus attractif en Europe », a affirmé au Monde Julien Villedieu, directeur délégué du Syndicat national du jeu vidéo français (SNJV), en marge du Videogames Economics Forum qui se tient du 10 au 12 mai à Angoulême.

Une bataille qui vise surtout le Royaume-Uni : avec le Brexit, la France estime avoir une carte à jouer pour attirer les grands studios et les projets de développements. Suite à l’éclatement de la bulle Internet, la France, numéro 1 européenne devant l’Angleterre jusqu’en 2001, avait vu sa filière de 15 000 professionnels fondre de plus des deux-tiers en dix ans, avant de se stabiliser au début des années 2010. Elle compte aujourd’hui un peu plus de 5 000 emplois directs dans la production. Selon la dernière édition du baromètre annuel du jeu vidéo en France, 750 créations de postes étaient attendues l’an passé.

Le Brexit accélérera-t-il le mouvement ? Le Royaume-Uni, de son côté, est de loin le premier marché et la première industrie européenne, mais son avenir est incertain. « Les cinq prochaines années seront cruciales pour la croissance de l’industrie du jeu vidéo britannique », prévenait en août 2016 Jo Twist, présidente du Ukie, l’un des deux syndicats locaux avec The Independent Games Developers Association (TIGA). Selon ces derniers, 20 000 emplois dans le secteur pourraient être affectés par le Brexit.

« On parle depuis plusieurs mois avec de grands acteurs internationaux, des éditeurs leaders, pour les convaincre de produire en France. A la faveur du Brexit et du niveau de nos aides, le 2e le plus élevé au monde, on peut y arriver », veut croire Julien Villedieu, qui confie être en contact avec des acteurs de premier plan dont le bureau européen est actuellement implanté en Angleterre.

Des aides publiques largement renforcées

Principale aide que fait miroiter la France aux investisseurs étrangers, le crédit d’impôt pour le jeu vidéo (CIJV), créé en 2008, distribue d’importantes subventions aux studios. Pauline Augrain, chef du service de la création numérique au Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), a détaillé lors d’une conférence un bilan de cette aide, qui a concerné 70 entreprises et 180 projets, pour une enveloppe totale de 90 millions d’euros. Il a notamment contribué au retour du développement de superproductions en France, comme Dishonored 2 à Lyon, Steep à Annecy, et Ghost Recon Wild Lands, tous budgettés à plusieurs dizaines de millions d’euros, et sortis durant ces douze derniers mois.

Sur la seule année 2016, le CIJV a subventionné 23 projets, à raison de 3,6 millions d’euros de subvention en moyenne. « Ce dispositif d’incitation fiscale cherche à renforcer l’attractivité du territoire. Il a été mis en place pour tenter d’endiguer la fuite des talents vers l’étranger, et faire en sorte que l’industrie française survive et se développe. Aujourd’hui, on a le sentiment que cet objectif est clairement atteint, et notre objectif est maintenant d’attirer des acteurs étrangers sur notre territoire », a détaillé Pauline Augrain. « L’objectif, c’est que les équipes étrangères viennent s’installer en France », dit-elle.

Plusieurs grands acteurs du jeu vidéo ont déjà investi en France ces dernières années, le plus souvent à la recherche d’une vision artitique ou de compétences pointues. Le français Ubisoft, dont les effectifs en dix ans avaient cru 10 fois plus vite à l’international que dans l’Hexagone, a récemment annoncé la création d’un studio à Bordeaux. Le japonais SEGA a racheté le studio français Amplitude (Endless Space) en 2016, tandis que l’américain Microsoft a confié ses premiers jeux vidéo holographiques au bordelais Asobo, tranchant avec la décennie noire des années 2000.

Doutes sur le calendrier

En 2016, le CIJV a été revu à la hausse. Il couvre désormais 30 % des dépenses contre 20 % précédemment, est plafonné à 6 millions d’euros par an contre 3 auparavant, et double à 2 millions d’euros le budget de sous-traitance européenne qui peut être éligible aux aides. Après des débats houleux, le dispositif a également été rendu accessible aux jeux déconseillés aux moins de 18 ans, pourvu que leur contenu ne contienne ni hyperviolence ni pornographie, et qu’ils contribuent à la diversification créative.

Reste à convaincre ces grands investisseurs étrangers de franchir le pas. Le projet du CNC et du SNJV se heurte à deux difficultés. La première est politique : le manque de visibilité sur le calendrier et les conditions du Brexit rendent pour l’instant les éditeurs étrangers attentistes. « Pour l’instant, ils se renseignent », tempère Julien Villedieu.

La seconde tient à la concurrence toujours redoutable des aides canadiennes, et surtout à leur simplicité d’accès. « On a encore une limite, reconnaît le directeur délégué du SNJV, c’est le manque de prévisibilité. Au Canada, il suffit de cocher des cases pour obtenir les aides. En France, un studio n’est pas sûr de les obtenir, car il y a une étude du dossier. Cela fait un peu peur aux investisseurs anglo-saxons ».