Les yeux hagards, Lydie revit les événements ayant tragiquement changé le cours de sa vie un matin d’août 2014. Sa cousine vient de sortir pour se rendre à l’église, la laissant seule dans leur maison du quartier Boy Rabe à Bangui, la capitale centrafricaine. Alors qu’elle vaque à ses occupations, des bruits d’armes se font entendre. Redoutant le pire, Lydie se réfugie alors dans les toilettes. Une poignée de minutes plus tard, la porte d’entrée est défoncée par quatre membres du groupe armé anti-Balaka.

Lydie ferme ses yeux emplis de larmes. Elle les rouvre après quelques secondes et, avec un regard lointain, poursuit courageusement son récit : « Deux d’entre eux m’ont déshabillée en m’assénant des coups lorsque j’essayais de résister. Les minutes semblaient interminables. Ils m’ont violée à tour de rôle. J’ai appelé à l’aide mais sans succès. »

Lydie n’avait que 16 ans à l’époque. Et bien qu’elle me dise que « rien ne pourra jamais effacer cet horrible événement de sa tête », elle s’empresse d’ajouter : « Cela va me soulager si on les arrête, les juge et les condamne. »

Méfiance de la population

Ce cri du cœur de Lydie fait écho à ceux de nombreuses victimes des groupes armés ex-Séléka et anti-Balaka avec lesquelles j’ai échangé aux mois de juin et octobre 2016 au cours d’une mission en RCA. Elles martèlent toutes ces mots, symbole de la soif de justice qui les anime : « Je veux que les responsables soient pourchassés et punis » ; « Je garde espoir que j’aurai gain de cause » ; « Le dernier mot appartient à la justice » ; « Personne n’est au-dessus de la loi ». Un souhait certes, mais que d’obstacles à sa réalisation !

Avant que le conflit n’éclate en 2013, le système judiciaire et pénitentiaire en RCA était déjà fragile. Quatre ans plus tard, il a besoin d’être reconstruit presque entièrement. Et les défis auxquels il fait face suscitent, chez les victimes, des réserves quant à sa capacité, en l’état actuel, de rendre justice. Ces réticences exprimées sont de plusieurs ordres.

Jeanne, une femme de 29 ans du quartier de Boy Rabe qui a perdu son bébé de 2 mois en août 2013 après qu’une roquette a été lancée sur sa maison par des ex-Séléka, m’explique d’un air dépité pourquoi elle n’a pas porté plainte : « La justice dans notre pays ne fait rien pour nous aider. » Elle n’est par ailleurs pas convaincue que cela aboutirait à traduire en justice les responsables.

Contrairement à Jeanne, Alain ignorait qu’il pouvait et devait déposer plainte. Ses maisons ont été pillées, détruites et incendiées dans le quartier Kokolo III du 3e arrondissement de Bangui en octobre 2015 par des groupes d’autodéfense du quartier PK5. Il me dit d’un air étonné : « Je ne savais pas que je devais déposer plainte au tribunal de grande instance. Je pensais que le fait d’avoir contacté le chef de quartier et constitué un dossier que j’avais soumis à la Commission épiscopale qui reçoit les témoignages des victimes du conflit était suffisant. » Au-delà des réticences, de nombreuses victimes ne disposent pas des informations et de l’aide nécessaires pour engager des poursuites.

Dans le cadre du forum de Bangui en mai 2015, la population avait défini les impératifs de justice. Le principe de « zéro impunité » avait été retenu, en particulier le refus d’accorder l’immunité ou l’amnistie aux responsables présumés de crimes de droit international. Il y a eu de nettes avancées pour s’assurer que les victimes obtiennent justice. Des sessions criminelles se sont tenues en juin 2015 et août-septembre 2016 en dépit des importantes défaillances relevées.

Nombreuses lacunes

La Cour pénale spéciale (CPS) a été créée en juin 2015. Sa mise en route a connu des progrès avec la nomination en février 2017 de son procureur spécial, le Congolais Toussaint Muntazini Mukimapa. Deux juges internationaux et cinq magistrats nationaux ont été nommés. Un comité de sélection des officiers de police judiciaire a aussi été créé. Auparavant, en 2014, la Cour pénale internationale (CPI) avait ouvert des enquêtes pour les crimes relevant du droit international commis dans le pays depuis le début du conflit.

Un système judiciaire national performant et efficace est au cœur de toute ambition de justice pour les victimes en RCA. Mais ses lacunes sont nombreuses. On note, entre autres, le manque d’institutions judiciaires fonctionnelles sur l’ensemble du territoire, la pénurie de personnel judiciaire qualifié, et l’insuffisance de ressources financières et matérielles. A cela s’ajoutent l’absence de mesures de protection des victimes et des témoins et la faiblesse du système carcéral. Ce sont autant de facteurs qui justifient la reconstruction de ce système. D’où l’urgence pour les partenaires de la RCA d’honorer les promesses faites au cours de la conférence internationale des donateurs en novembre 2016 à Bruxelles et, en particulier, de fournir l’intégralité du budget de 105 millions d’euros alloué au renforcement de l’appareil judiciaire du pays aux termes du Plan national de relèvement et de consolidation de la paix.

Par ailleurs, il convient d’appuyer les autres mécanismes qui existent pour veiller à ce que les responsables de crimes de droit international en RCA répondent de leurs actes. La Cour pénale spéciale (CPS) en fait partie.

Sa création a suscité un regain d’espoir. Compte tenu de son mandat, de sa composition, de son indépendance et de l’impartialité attendue, cette cour offre à la population l’opportunité d’obtenir justice.

Gilbert, dont le petit-fils âgé de 10 ans a été tué, un dimanche d’avril 2013, par un obus, l’exprimait ainsi : « Ça me réjouit, c’est [le procureur] un fils du pays, même s’il est d’une autre nationalité. Il va nous aider à juguler le problème d’impunité en RCA. »

La fin de l’impunité

Parallèlement à cette initiative, de nombreuses autres sont menées en vue de rétablir l’état de droit en RCA. Il s’agit, entre autres, du processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion des groupes armés. La population est favorable au dialogue et à la réconciliation et l’a d’ailleurs martelé lors du Forum de Bangui. Mais tout comme l’a indiqué le président Faustin Archange Touadéra en novembre 2016 lors de la Conférence des donateurs de la RCA à Bruxelles, « la réconciliation ne peut s’accomplir au prix de l’impunité ».

La crise en Centrafrique : décryptage par l’image
Durée : 05:35

Les attentes des victimes du conflit en RCA sont grandes. Des femmes et des hommes, à l’instar de Lydie, Jeanne, Alain et Gilbert veulent tourner cette page sombre de leur vie. Cela ne peut se faire que s’ils obtiennent justice.

Amnesty International, qui vient de lancer la campagne « La justice maintenant : pour une paix durable en République centrafricaine » préconise, entre autres actions, le renforcement du système judiciaire national et le soutien à la CPS et à la CPI.

Olivia Tchamba est chargée de campagnes pour l’Afrique centrale à Amnesty International.