Klaus Barbie, lors de son procès à Lyon, le 11 mai 1987. | STF / AFP

Le vieil homme se tient dans le box des accusés. Le président du tribunal a décidé qu’il n’y aurait pas de vitrage blindé autour de lui. D’un ton calme, balayant les jurés de ses yeux bleus perçants, celui qui s’est présenté devant la justice française comme « Robert Altman » prend la parole, pour demander à ne plus comparaître. Qu’on le raccompagne à la prison Saint-Joseph. « Le nazi triomphant serait-il un nazi honteux qui n’ose pas regarder son passé ? », rétorque le procureur général Pierre Truche.

C’était il y a trente ans, le 11 mai 1987 s’ouvrait le procès de Klaus Barbie. Pour la première fois en France, dans la salle des pas perdus du palais de justice de Lyon, un homme était jugé pour crimes contre l’humanité. Près de 150 parties civiles, représentées par 39 avocats, et 400 journalistes s’étaient pressés pour l’occasion en bord de Saône.

Le « Boucher de Lyon », ancien chef local de la Gestapo, comparaît alors pour la rafle de 86 juifs rue Sainte-Catherine, au siège lyonnais de l’Union générale des israélites de France (UGIF), en février 1943 ; pour celle de 44 enfants juifs et de sept encadrants dans la « colonie » d’Izieu (Ain) en avril 1944 et pour l’organisation d’un convoi de Lyon à Auschwitz le 11 août 1944. A 73 ans, au terme de neuf semaines de procès, Klaus Barbie est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité et meurt en prison quatre ans plus tard, d’un cancer.

Trente ans après ce qui fut vécu comme une catharsis nationale, faisant émerger des dizaines de témoignages de victimes de la Gestapo, la justice internationale continue de traquer des criminels nazis. En 2016, le Centre Wiesenthal, dont les recherches sur l’Holocauste visent à lutter contre l’antisémitisme dans le monde, publiait une liste de ces personnalités du IIIe Reich qui continuent, soixante-douze ans après la capitulation allemande, d’échapper à leur responsabilité.

De rares procès

Depuis la publication de cette liste, quelques procès se sont tenus, comme celui de Reinhold Hanning, condamné en juin 2016 à cinq ans de prison. Cet ancien gardien d’Auschwitz, âgé de 94 ans, a été reconnu coupable de « complicité dans l’extermination d’au moins 170 000 juifs ». « J’ai honte d’avoir laissé cette injustice se produire et de ne rien avoir fait pour l’empêcher », a écrit l’ancien soldat dans une confession de 25 pages, ajoutant n’avoir « jamais pu parler d’Auschwitz ni à ma femme, ni à mes enfants, ni à mes petits-enfants ».

En 2015, c’était le procès d’Oskar Gröning, surnommé « le comptable » du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, qui avait été très médiatisé. L’homme avait ainsi été condamné par la justice allemande à quatre ans de prison. L’accusation lui reprochait d’avoir « aidé le régime nazi à tirer des bénéfices économiques des meurtres » de 300 000 juifs. Il a également été jugé coupable d’avoir participé à la « sélection » séparant les déportés jugés aptes au travail et ceux qui étaient immédiatement tués, à l’entrée des camps. L’homme, qui se décrivait lui-même comme un « bureaucrate (…) fasciné par les uniformes », avait demandé « pardon » pendant son procès.

Souvent inaptes à être jugés

Mais ces quelques condamnations sont loin d’être une victoire pour les associations de défense des victimes de l’Holocauste. La seule femme qui figure dans le classement du Centre Wiesenthal devrait y rester encore longtemps. Fille d’un charpentier et d’une femme au foyer, Helma Kissner fut opératrice radio dans le camp d’extermination d’Auschwitz en Pologne d’avril à juillet 1944.

A 92 ans, celle qui eut accès par son poste à de nombreux documents confidentiels de l’Allemagne nazie s’est présentée devant le tribunal de Kiel, en Allemagne, en septembre 2016. L’ancienne opératrice devait répondre de la participation aux meurtres de 260 000 personnes. Helma Kissner a toutefois été inapte à être jugée, notamment du fait de sa condition physique très détériorée. Elle « ne répond pas aux conditions essentielles qu’exige un procès aussi intense », a justifié un porte-parole du tribunal.

Le cas d’Helma Kissner n’est pas une exception. En février 2016, Hubert Zafke, médecin SS au camp d’Auschwitz, devait être jugé en Allemagne pour complicité dans la mort d’au moins 3 681 personnes. Le prévenu, 95 ans, n’ayant pu venir à l’audience à cause de son état de santé, le procès a été suspendu.

Certains, bien que condamnés, ont échappé à leur peine. Officier de la police politique lituanienne durant l’occupation allemande, Algimantas Dailide, qui figure sur la liste 2016 du Centre Wiesenthal, a participé à l’arrestation de juifs avant de les livrer aux nazis, en sachant qu’ils seraient exécutés. Il a été expulsé des Etats-Unis vers l’Allemagne en 2003, pour avoir menti sur son passé. En 2006, Dailide a été condamné à cinq ans de prison par la justice lituanienne. Mais il a été dispensé de peine, car « il ne représente plus une menace pour la société ». L’homme, né en 1921, vit désormais à Kirchberg, en Allemagne.

Procédures diplomatiques et refus d’extradition

Comme lui, Helmut Oberlander pourrait être le symbole de cette défiance à l’égard de la justice internationale. A 92 ans, cet ancien traducteur de l’Einsatzkommando 10A, l’un des nombreux escadrons de la mort nazi, a remporté en 2016 un difficile bras de fer face aux autorités canadiennes. La Cour suprême du Canada, où il vit depuis soixante ans, a refusé d’entendre l’appel du gouvernement fédéral, qui souhaitait révoquer sa citoyenneté et l’expulser. Né en Ukraine, il avait, lors de son arrivée au Canada, caché son rôle au cours de la guerre. Son escadron est accusé d’avoir tué par balles près de 23 000 civils en Ukraine, entre 1941 et 1943.

Certains échappent pour leur part à l’extradition. C’est le cas de l’ancien caporal de la division Gebirgsjäger, Alfred Stark, 93 ans. Il a été condamné en 2012 par contumace pour sa participation, en septembre 1943, au meurtre de 120 officiers italiens sur l’île grecque de Céphalonie. Malgré sa condamnation par un tribunal militaire à Rome, l’Allemagne, où Alfred Stark vit toujours, a refusé son extradition.

Une décision qui n’est pas isolée, puisque Johann Robert Riss, qui figure également sur la liste du Centre Wiesenthal, vit également toujours en Allemagne. Agé de 93 ans, cet ancien sergent a été condamné par contumace à la prison à vie par un tribunal militaire italien, pour avoir participé le 23 août 1944 au massacre de 175 civils dans le marais de Fucecchio, en Italie. La justice militaire italienne a également condamné le gouvernement allemand à payer 14 millions d’euros en compensation pour les proches des victimes du massacre, ce que Berlin a refusé.

Manifestations à New York

Plus récemment, le Centre Wiesenthal a déposé une plainte après l’abandon des investigations par le Danemark concernant deux personnalités figurant dans son classement, Helmut Rasbol et Aksel Andersen. Les deux hommes sont soupçonnés d’avoir travaillé comme gardes dans le camp pour juifs installé à Bobrouïsk, en Biélorussie.

Un autre ancien criminel figurant sur la liste 2016 du Centre Wiesenthal échappe encore à la justice. A 94 ans, Jakob Palij vit au deuxième étage d’un immeuble en briques du quartier new-yorkais de Jackson Heights, dans le Queens. Une réalité bien éloignée de son ancien rôle de garde SS dans le camp de Treblinka, en Pologne de 1943 à 1945, où plus de 6 000 juifs ont été tués. Aux Etats-Unis, les autorités estiment qu’il a empêché des prisonniers de s’échapper et a « directement contribué à leur assassinat éventuel », ce qu’il a toujours nié. En 2003, les autorités américaines le poursuivent pour avoir menti lors de son entrée sur le territoire et lui retirent sa nationalité. Mais l’homme ne sera finalement pas expulsé, aucun pays n’ayant accepté de l’accueillir. Depuis, des manifestations sont régulièrement organisées devant son domicile.