Marine Le Pen, à Taverny (Val-d’Oise), en 2016. | PATRICK KOVARIK/AFP

« Vous les jeunes, vous avez vos smartphones ! Nous on est bloqué ici, il y a même plus un commerce, rien ! » Serait-ce un indice pour comprendre le score du Front national à Jagny-sous-Bois ? Au milieu des quelques maisons résidentielles et champs de colza du petit bourg de 249 habitants, la ballade d’un couple de retraités anime le village. Alors qu’elle attend patiemment son mari qui livre une bataille sans merci avec les rues vallonnées du petit patelin, la femme de 81 ans en profite pour revenir sur la présidentielle. Selon elle, les habitants de Jagny, toujours plus esseulés, ont placé Marine Le Pen en tête au premier et second tour à cause de leur « esprit revanchard ».

Dans le Val-d’Oise, une série de petits villages accollés les uns aux autres se distinguent sur la carte des résultats électoraux du dimanche 7 mai. Lassy, Jagny-sous-Bois, Châtenay-en-France, Mareil-en-France... Contrairement à la quasi-totalité des villages du département situé au nord de Paris, ces quatre bourgs ont vu l’extrême droite devancer Emmanuel Macron. Enfin presque.

« Les résultats sont faux ! Contrairement à ce qui a été annoncé dans toute la presse, ici, Marine Le Pen n’a pas fait 70 % et Macron 30 % mais l’inverse. Il y a eu une erreure de saisie informatique à la préfecture », rectifie Jacques Renaud, maire de Châtenay-en-France. Il n’empêche. « C’est déjà énorme pour nous ! D’habitude nous sommes à 5 % », poursuit celui qui n’a pas renouvelé sa carte chez Les Républicains « à cause de Nicolas Sarkozy ».

Qu’ils viennent de Châtenay-en-France ou des villages voisins, des électeurs frontistes, Priscilla Bachir en cotoie régulièrement. Dans son salon perdu au milieu de la forêt, l’esthéticienne s’efforce d’écouter, sans juger. « Ces derniers temps, les gens me parlaient tout le temps des élections. C’est souvent les arguments qu’on entend à la télévision qui reviennent : les salaires sont trop faibles, les étrangers représentent un danger, l’arrivée de réfugiés syriens se fait au profit des Français... Il y a les attentats aussi », explique la femme de 36 ans.

« Environnement privilégié »

Il ne faut pas aller très loin pour entendre certains tenir ce discours. Trois kilomètres sur une nationale entourée de champs très exactement. Morgane, 26 ans, a voté comme 53,57 % des habitants de Mareil-en-France. « J’ai voté Marine Le Pen comme au premier tour. Au moins elle dit la vérité, pas comme les autres. Emmanuel Macron, c’est pareil que Hollande de toute manière », argumente derrière sa poussette la mère au foyer satisfaite du score de sa candidate.

Satisfaits, d’autres sont loin de l’être. Stéphane Becquet, conseiller municipal du village de 695 âmes, reste perplexe face aux résultats de sa commune. Derrière ses lunettes de soleil, le père de famille peine à expliquer pourquoi certains ont voulu « secouer le cocotier ». « On est quand même dans un environnement privilégié ! D’accord, il y a quelques vols de temps à autres mais pas plus qu’ailleurs », lance le professeur de musique sur le point de retrouver ses deux filles qui sortent de l’école.

Une incompréhension partagée par un deuxème élu de Mareil-en-France : « J’arrive pas à comprendre. Beaucoup prennent le RER D qui à la réputation d’être mal fréquenté mais bon, c’est anecdotique en réalité », avoue l’homme à la carrure affirmée.

Les villages se suivent et les discours se ressemblent. A Lassy, Marine Le Pen a obtenu 55,1 % des suffrages. Là encore, tout le monde s’accorde à dire que la vie est confortable. Là encore, une bonne partie de la population peine à expliquer ce qui a poussé tant d’électeurs à voter Front national. « Souvent des personnes qui ont des arguments sans fond », lance la lassyenne Emma Valet, cachée derrière sa chevelure.

Quoi qu’il en soit, à Châtenay-en-France, Lassy, Jagny-sous-Bois et Mareil-en-France, les résultats du 7 mai n’ont pas bouleversé la vie de village. Demain matin, devant le camion-boulangerie, chacune et chacun se salueront, comme d’habitude.