Les supporteurs de Clermont lors du match face à Leinster. | THIERRY ZOCCOLAN / AFP

En Auvergne, les arbres en fleur et la (légère) hausse des températures ne sont pas seulement le signe du retour des beaux jours. Ils marquent aussi l’entrée dans une période bien particulière pour le supporteur de rugby, celle des phases finales. Depuis dix ans, date du retour de l’ASM Clermont Auvergne au plus haut niveau après des années de disette, la ville a pris l’habitude de s’éveiller lorsque débutent les matchs couperets. Et de s’embraser à l’approche de la finale de Coupe d’Europe de rugby face aux Saracens, ce samedi (18 heures) à Edimbourg.

La demi-finale contre le Leinster, disputée à Lyon, avait laissé entrevoir le potentiel de cette célèbre Yellow Army, les supporteurs de Clermont, qui attend un premier titre européen après des années de frustration. « La ferveur que dégage ce public, c’est fabuleux. Il y a une ambiance extraordinaire autour de ce club, une convivialité, une fraternité. Tout le monde a envie de participer à la fête », s’émerveille Jean-Claude, président de l’Amicale des supporters montferrandais, plus ancien club de supporteurs du rugby français.

Dans les rues de Clermont, tous les habitants ou presque affichent fièrement leur attachement à l’ASM. Les balcons et les fenêtres des particuliers sont ornés de drapeaux jaune et bleu. Dans les vitrines des commerces, on trouve des rubans, des fanions, des ballons. De l’onglerie au magasin de literie en passant par l’opticien ou la pâtisserie, toute la ville se pare de ses plus belles couleurs.

Pour Véronique, décorer la vitrine de sa pâtisserie était une évidence : « Ça fait partie de notre vie, on les suit depuis tellement longtemps. Et samedi on sera tous maquillé en jaune et bleu ! » Dans sa devanture trônent un ballon de rugby et une chaussure à talon confectionnés en chocolat jaune et bleu. Quelques mètres plus loin, Pierre, opticien, a fait de même. « Si les Clermontois ne font pas l’effort de soutenir le club, qui le fera ? Le rugby, c’est important pour la ville, il faut montrer l’exemple », explique-t-il.

Terre de rugby

« Ça fait vingt et un ans que je mets les couleurs ». Franck tient une boucherie aux abords de la gare et a décoré son commerce juste après la demi-finale : « Il faut donner encore plus envie aux joueurs de gagner, c’est un bon stimulant ». Dans la rue qui monte à la cathédrale, une boutique sur deux est agrémentée d’accessoires fournis par la Fédération des commerçants clermontois. Chez Jalla, le lit de la vitrine est recouvert d’une housse de couette et de coussins aux couleurs du club tandis que Mickaël, le gérant, est en train d’accrocher une grande banderole : « C’est important de soutenir les événements locaux quand on est commerçant, ça crée du lien, de l’unité et de la cohésion avec les habitants. »

Juste en face, Virginie a accroché le drapeau de son fils : « L’ASM, c’est un moteur pour toute la ville, c’est de la gaieté, et surtout ça donne une bonne image de la ville. » Emblème, valeur, tradition, à Clermont, le rugby est partout. « C’est le symbole de toute l’Auvergne », rappelle Christophe, qui tient un commerce de produits locaux. Pour Daniel, du club de supporteurs de la Limagne, c’est même « un vecteur identitaire ». A ses côtés, Pierre confirme : « L’Auvergne est une terre de rugby qui correspond à une ruralité et qui met en valeur des hommes forts et humbles. »

Au bar L’Orient-express, QG du club de la Limagne, tout est aux couleurs de l’ASM. | B.Sérot

« Comme une drogue »

D’autres commerçants vont encore plus loin. Nicolas tient une boutique d’une marque auvergnate dans la vieille ville. Las des finales perdues, il a lancé un tee-shirt floqué du slogan : « Cette année, c’est la bonne ! » Ironique et décalé, le tee-shirt a fait mouche et s’affiche comme une de ses meilleures ventes. « Le public clermontois a changé, il sait rire de lui-même. De toute façon, il vaut mieux en rire, de toutes ces finales perdues ! » explique-t-il.

Au QG du club de la Limagne aussi, on préfère en rire. « Il n’y a rien de désobligeant. Mais c’est sûr qu’on se fait chambrer », sourit Laurent. En cent seize ans d’histoire, le club a perdu 13 de ses 14 finales. Daniel se souvient de sa première : « C’était en 1970, contre La Voulte. J’avais 22 ans, j’étais chez mon beau-père et j’ai cassé la télé. » Mais pas question de parler de malédiction, « c’est un truc de journalistes ! », lance Gérard, du club des Vignerons.

En plus de savoir rire de son club, l’Auvergnat est optimiste et fidèle. « On s’accroche, on a toujours espoir », explique Jean-Claude, président de l’Amicale des supporters montferrandais. « Je connais plein de supporteurs qui voulaient abandonner après une finale perdue. Mais chaque année, ils finissent par revenir. » « L’ASM, c’est comme une drogue », ajoute Pierre. Cette année, comme toutes les années précédentes, les Clermontois répondent présent. Pour Jean-Claude, l’explication est simple : « On a la chance d’avoir une équipe qui pratique un beau jeu. » « Quand on regarde un match de Clermont, on se régale, on est gâté ! », confirme Jacques, président des Vignerons.

Tous à Jaude

A trois jours du jour J, l’ambiance commence à monter. « On y pense tout le temps, on trouve le temps long. Il y a du stress, la tension nerveuse s’installe. », explique Jacques. Au bar des Vignerons, les supporteurs jouent au jeu des pronostics sur la composition de l’équipe et chacun y va de son analyse. Au centre, plutôt Lamerat ou Penaud ? Yato ou Lapandry en troisième ligne ? « Yato est plus puissant ! » s’exclame Nicole.

Samedi à Murrayfield, dans le temple du rugby écossais, ils seront près de 3 000 Clermontois à pousser derrière leur équipe. Un déplacement qui, pour des raisons financières, en a dissuadé plus d’un. Et, pour ceux qui n’auront pas pu se rendre en Ecosse, la ville a tout prévu. Direction la place de Jaude, temple du rugby auvergnat et centre névralgique de la ville. La statue de Vercingétorix, brandissant un drapeau jaune et bleu, domine déjà la place qui va se doter d’un écran géant pour l’occasion. Une nouvelle qui avait été annoncée par le maire de Clermont, Olivier Bianchi, quelques instants après le coup de sifflet final de la demi-finale.

Une initiative saluée par les supporteurs : « C’est une bonne chose. A chaque fois qu’un écran géant a été installé, le public a répondu présent », rappelle Jean-Claude. Des dizaines de drapeaux ornent la façade de la mairie. « C’était inenvisageable, pour nous, de ne pas mettre en place ce dispositif d’écran géant. L’agora de Jaude est faite pour ça, pour faire battre le cœur des Clermontois », rappelle le maire Olivier Bianchi. Une fête qui nécessite pourtant beaucoup d’organisation du côté de la municipalité, notamment en raison des mesures de sécurité exigées par l’état d’urgence.

Conséquence, la place de Jaude, qui devrait accueillir 45 000 personnes, sera aménagée comme une fan-zone, avec un système de filtration, une dépense assumée par l’adjointe aux sports et maman d’Aurélien Rougerie, Christine Dulac-Rougerie : « C’est un choix délibéré. Ça a toujours fait partie de la tradition de la ville d’accompagner les Clermontois et de montrer à l’équipe qu’on la soutient. »

Si l’ASM perd samedi face aux Saracens, « ça fera juste une finale de plus », lâche Danielle, du club des Vignerons, en haussant les épaules. Si la victoire est au bout, le club deviendrait le premier club français à détenir tous les titres possibles, passés ou actuels, Championnat de France, Coupe d’Europe, Challenge européen, Challenge Yves-du-Manoir, Coupe de France, Coupe de la Ligue. Mais la victoire permettrait surtout aux Clermontois de revenir dimanche place de Jaude pour accueillir leurs héros. En attendant la prochaine finale.

Sur la place de Jaude, la statue de Vercingétorix est le symbole de tout un club. | B.Sérot