Des chauffeurs de taxi protestent contre la concurrence de Cabify et d’Uber, le 26 avril, à Madrid. | PIERRE-PHILIPPE MARCOU / AFP

Uber va-t-elle devenir une société de taxi comme les autres ? Nous n’en sommes pas encore là, mais la plate-forme américaine de voitures avec chauffeurs (VTC) ne peut pas être considérée comme un simple intermédiaire entre chauffeurs et clients et « relève du domaine du transport », selon l’avis de l’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) Maciej Szpunar, qui a rendu publique ses conclusions, jeudi 11 mai. Celles-ci font suite à la plainte déposée en 2014 par une association de taxis de Barcelone, Elite taxi, contre Uber.

Si l’arrêt de la CJUE, attendu à l’automne, se plie, comme souvent, à l’interprétation de l’avocat général, cela constituerait pour Uber un sérieux revers en Europe. L’activité de la plate-forme de VTC ne peut être « régie par le principe de la libre prestation des services dans le cadre des services de la société de l’information” », estime l’avocat général de la CJUE. Uber peut donc « être obligée de posséder les licences et agréments requis par le droit national », ajoute-t-il.

La plate-forme locale Cabify est déjà bien implantée

Ironie de l’histoire, Uber est très peu présente en Espagne. Lorsque la plate-forme tente de faire son entrée à Barcelone, en 2014, elle est confrontée à la présence d’un concurrent local, Cabify, créé en 2011 par l’Espagnol Juan de Antonio, très bien implanté sur la péninsule ibérique et en Amérique latine.

A cette date, la région de Catalogne ne donne déjà plus d’autorisations de VTC. Dès 2013, le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy était revenu sur la libéralisation totale du secteur des VTC, dictée en 2009 par l’exécutif socialiste de José Luis Rodriguez Zapatero. Il avait ainsi réintroduit dans la loi un ratio d’une voiture avec chauffeur pour 30 taxis afin de freiner le boom du secteur. Résultat : le royaume ne compte que 5 900 VTC pour 67 000 taxis, selon le ministère de l’équipement.

Uber a rappelé qu’il ne s’agissait pas encore de l’arrêt définitif de la CJUE et relativise la menace qui pèse sur elle.

C’est donc avec UberPop, service qui met en contact des chauffeurs non professionnels et des particuliers, qu’Uber débarque à Barcelone. Cette activité ne tiendra que quelques mois, le temps que la justice, sollicitée par l’association professionnelle Elite taxi, ne décide de la suspendre. Le juge de Barcelone chargé de l’affaire saisit alors la CJUE sur plusieurs questions en 2015. C’est sur celle de l’activité réelle de la plate-forme que l’avocat général a tranché, estimant que « la prestation de transport constitue, d’un point de vue économique, l’élément principal, alors que le service de mise en relation des passagers avec les chauffeurs au moyen de l’application pour smartphones est un élément secondaire ».

Dans un communiqué, Uber a rappelé qu’il ne s’agissait pas encore de l’arrêt définitif de la CJUE et relativise la menace qui pèse sur la compagnie : « Etre considéré comme une entreprise de transport ne changera pas notre manière d’opérer dans la majorité des pays européens. » Et le groupe d’assurer que ses VTC disposent d’autorisations en règle, comme à Madrid, seule ville espagnole où elle opère.

« Les implications juridiques pourraient être impitoyables, estime au contraire l’avocate qui représente Elite Taxi, Montse Balaguer. Uber pourrait devoir respecter toute la législation en matière de transport, aussi bien à niveau national qu’européen. »

Un rapport pour faire pression sur Madrid

Uber « propose l’évasion fiscale de ses revenus, la spéculation avec les licences VTC, la précarité de l’emploi... » selon Emilio Dominguez del Valle, de Fedetaxi.

Pour Emilio Dominguez del Valle, secrétaire technique de la Fédération espagnole du taxi (Fedetaxi), le modèle d’Uber, « caché sous une aura de modernité présumée, propose l’évasion fiscale de ses revenus, la spéculation avec les licences VTC, la précarité de l’emploi, la présence de faux autoentrepreneurs, des semaines de 60 heures avec la prise de risque que cela suppose pour les passagers, l’utilisation opaque des données personnelles des utilisateurs et le manque de garantie de leurs droits. » Et celui-ci d’enfoncer le clou : « Uber implante un modèle de service en ligne impeccable, qui promeut une activité offline précaire et contraire à la politique sociale et fiscale de l’Union européenne. »

Pour répondre à ces attaques, et faire pression sur le gouvernement afin d’obtenir la libéralisation des VTC, Uber a commandé un rapport à une prestigieuse entreprise de conseil espagnole, Analystes financiers internationaux (AFI). Publiée le 10 mai, cette étude estime que la libéralisation du secteur des VTC permettrait la création de 7 200 emplois de conducteurs à Madrid et 4 800 à Barcelone.

Les gouvernements catalans et madrilènes semblent peu sensibles à ces arguments. D’autant que le parc de taxis y est souvent qualifié de « surdimensionné » par rapport à ses voisins européens, et que leur coût est raisonnable. A Madrid, plusieurs milliers d’autorisations de VTC ont été paralysées par les tribunaux à la demande du gouvernement régional. Quant au gouvernement régional catalan, il avait infligé 56 amendes de 4 000 euros à Uber en 2014. Après leur annulation en première instance, Barcelone a déposé un recours devant le Tribunal suprême pour qu’il détermine si Uber dépend du secteur du transport, très réglementé, ou de celui de la « société de l’information », protégé par le principe de libre prestation. Une question clé à Madrid, comme à Bruxelles.