TRIBUNE. Bientôt, un nouveau président s’installera aux commandes de la France. Je lui souhaite très sincèrement de réussir car je nous souhaite, à tous, violemment, de réussir. Sa chance sera la nôtre. Emmanuel Macron, jeune (ça ne dure pas), intelligent (ça dure), doué (ça aide), humaniste (ça se cultive), modeste (ça s’oublie facilement), ambitieux (du moment que c’est pour la France et pas pour lui), dégage un dynamisme optimiste que j’espère contagieux et dans lequel nous gagnerions à nous reconnaître. Je voudrais attirer son attention sur ce qui, aujourd’hui, semble anecdotique, mais se révèle, avec le recul, symbolique et significatif : le rapport du président à la littérature.

La France est un pays littéraire. Littéraire parce qu’on y lit beaucoup et qu’on y écrit encore plus. Littéraire car on se nourrit de La Fontaine, de Saint-Exupéry ou de Marcel Aymé à la mamelle. Littéraire parce que l’on y traverse l’adolescence avec Verlaine, Rimbaud, Baudelaire. Littéraire car on appelle la langue celle de Molière. Littéraire parce que la nation rayonne par ces écrivains et penseurs dans le monde, de Voltaire à Lévi-Strauss. Littéraire car elle médiatise ses auteurs qui sont reconnus, salués, fêtés dans les rues, des rues qui portent souvent le nom de romanciers, de poètes ou de dramaturges. Littéraire parce qu’il y a autant de prix littéraires que de fromages ou de jours dans l’année. Littéraire car tout le monde veut écrire un livre, même ceux qui se contentent de le signer. Littéraire parce qu’y règne l’idée que la littérature ennoblit : à la différence des médias qui écrivent sur l’eau, elle s’imprime sur le papier et se grave dans le marbre, défiant l’usure des ans. Littéraire car ses écrivains demeurent, même quand leur génération s’est éteinte. Littéraire tant elle aime flirter avec l’éternel.

Il fut un temps où les présidents de la République française affichaient leur lien avec la littérature. Charles de Gaulle ne se contenta pas de lire, il se montra un mémorialiste magistral. Georges Pompidou, agrégé de lettres, composa une Anthologie de la Poésie qui servit de bréviaire à mes jeunes années. Valéry Giscard d’Estaing cria son amour pour Maupassant et siège désormais à l’Académie française. François Mitterrand se régala de façon fine et gourmande des ouvrages, multipliant les rencontres avec les écrivains qu’il savourait, tel Michel Tournier.

L’homme qui lit atteint l’universel

Après eux, le moule s’est cassé. Non que Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, François Hollande, soient dépourvus de culture, mais nous constatons de manière euphémique que, de la littérature, ils ont une curiosité ponctuelle, pas la passion. Or, de façon concomitante, la fonction présidentielle a perdu de son autorité et de son prestige. N’y aurait-il pas un lien ?

Aimer la littérature, c’est dépasser les clivages, les lobbys et les camps. Aimer la littérature, c’est s’intéresser autant aux ouvriers que décrit Zola qu’à la Princesse de Clèves, autant aux paysans de Sand qu’aux aristocrates de Proust, autant aux libertins de Laclos qu’aux âmes souffrantes de Bernanos, autant au christianisme de Bossuet qu’à sa critique par Diderot. Aimer la littérature, c’est non seulement dépasser les idéologies figées mais franchir les frontières : c’est devenir russe en lisant Dostoïevski, japonais avec Mishima, italien avec Moravia, allemand avec Mann, égyptien avec Mahfouz. La littérature enjambe même les frontières du temps puisqu’elle m’a permis de vivre au Ve siècle av. J.-C. avec Sophocle ou à la renaissance avec Shakespeare et Cervantes.

L’homme qui lit atteint l’universel. Il n’incarne plus un seul groupe, des intérêts précis, une classe sociale, un étage de la société, non, il transcende les définitions et ne connaît plus rien d’étranger. Il épouse le multiple dans sa complexité. Et qu’est-ce qu’un président, sinon celui qui épouse le multiple dans sa complexité ?

Emmanuel Macron éprouve cet amour de la littérature : il entreprit des études de lettres, de philosophie et souhaita, me dit-on, devenir écrivain. A son emploi de la langue, à son goût de la précision, à son bonheur de s’appuyer sur l’adjectif bien choisi, je perçois l’éventuel président littéraire. Soyez-le sans honte, Monsieur Macron, avec éclat. En étant un président littéraire, vous serez le Président de tous.