Les soldats mutins contrôlent l’accès de la ville de Bouaké, dans le centre de la Côte d’Ivoire, dimanche 14 mai. | ISSOUF SANOGO / AFP

Leur cri de colère claque aux quatre coins de la ville, comme ces tirs sporadiques de kalachnikovs dans le ciel clair de Bouaké. « On veut notre argent ! » : un leitmotiv repris par cet homme en treillis croisé en bord de route. Au fond de son regard menaçant, affleure le voile d’une déception extrême. « Nous avons été trahis, s’indigne-t-il. Ils nous avaient promis l’argent, et aujourd’hui, plus rien ! »

Combien sont-ils ? « Trois cents », comme le certifie ce mutin gradé, ou moins ? Suffisamment pour régner depuis trois jours sur cette ville du centre de la Côte d’Ivoire. Pour en contrôler les entrées nord et sud, où sont stoppés sur les bas-côtés défoncés des centaines de poids lourds naufragés. Pour pousser les habitants à rester chez eux et les commerçants à baisser le rideau.

L’année 2017 fait bégayer l’histoire ivoirienne. Comme en janvier, des mutineries ont éclaté, vendredi 12 mai, dans plusieurs villes de la première puissance économique francophone d’Afrique de l’Ouest. Lundi, les autorités n’étaient toujours pas parvenues à rétablir l’ordre. Des tirs sporadiques et en rafale ont été entendus au petit matin à plusieurs endroits de Bouaké, aux rues quasi-désertes, ainsi qu’aux abords des trois camps militaires de la capitale économique, Abidjan.

Fermeté du pouvoir

La raison de la colère ? Le choix du gouvernement de ne pas verser le complément de primes promis aux mutins après leur fronde de janvier. A l’époque, 5 millions de francs CFA (7 600 euros) furent payés à 8 400 soldats, et 7 autres millions devaient leur être transférés au fil des mois. Mais lors d’une cérémonie retransmise jeudi à la télévision nationale, un sergent présenté comme porte-parole des mutins a renoncé au reliquat devant le président, Alassane Ouattara.

« Nous n’avons jamais validé cet accord », s’insurge un délégué des mutins de Bouaké qui requiert l’anonymat. « Depuis des semaines, le gouvernement nous réunissait, il nous disait de laisser tomber l’argent restant, mais nous résistions », insiste-t-il.

Malgré une croissance de plus de 8 %, la Côte d’Ivoire traverse « des moments très, très difficiles », a justifié le chef de l’Etat. En cause, la chute du prix du cacao, dont le pays est le premier producteur mondial. La mutinerie de janvier avait, de plus, provoqué une surenchère parmi d’autres catégories de la population, comme chez les fonctionnaires, qui ont fini par obtenir des hausses de salaires. Chaque ministère doit désormais réduire ses dépenses de 5 % à 10 %.

Face aux mutins, le pouvoir affiche sa fermeté. « Tous ceux qui continueront de défier les autorités, d’entraver les activités et la quiétude des populations ainsi que le fonctionnement normal de l’Etat, subiront les sanctions disciplinaires les plus sévères », a mis en garde le chef des armées, le général Sékou Touré. Les négociations ont jusqu’à présent échoué. Des blindés légers de forces de sécurité sont venus se poster, dimanche 14 mai, à une cinquantaine de kilomètres de Bouaké.

Le même jour, le conflit a pris un tournant dramatique avec la mort d’un homme décédé des suites de ses blessures. La veille, un groupe de mutins s’en était pris à des « démobilisés », des anciens rebelles du Nord comme eux, qui ont aidé Alassane Ouattara à conquérir le pouvoir en 2011 lors de la contestation de son élection par son rival, Laurent Gbagbo. Mais les « démobilisés » n’ont ensuite pas été intégrés dans la nouvelle armée ivoirienne. Ils réclament toutefois les mêmes primes que les soldats.

« Une balle dans le dos »

« Ils ont débarqué et nous ont arrosés sans raison avec leurs kalachnikovs, raconte un responsable, nous avons couru pour fuir, mais notre camarade s’est effondré quand il a pris une balle dans le dos. »

Plusieurs habitants ont également été blessés par balles lors d’une manifestation pour exprimer leur ras-le-bol contre les mutins. « Ils n’ont pas fait dans la dentelle », résume l’organisatrice, Hadja Maïka. « Nous refusions de bouger alors ils ont tiré un peu n’importe comment, et des balles ont ricoché sur le bitume avant de toucher des gens, explique-t-elle, puis ils nous ont tabassés à coups de branches d’arbre. »

Chez les mutins, on regrette « des accidents ». Dénonçant aussi « les arrachages de voitures » volées par des mutins, la population critique de plus en plus l’inaction du pouvoir. « Nous sommes pris en otage, et les responsables de ce pays laissent faire, ce n’est pas normal ! », fulmine une habitante.

Le siège du Rassemblement des républicains, le parti d’Alassane Ouattara, à Bouaké, a été pris pour cible par les mutins, et le personnel attaqué. Le chef de l’Etat ne s’est pas exprimé depuis le début de la contestation. « Nous avons fait la guerre pour lui, alors nous espérons qu’il tiendra sa parole de nous donner ce qu’il nous a promis », rappelle un délégué, qui menace de perturber les Jeux de la francophonie qui se dérouleront en juillet en Côte d’Ivoire.