Le nouveau chef du parti ÖVP, Sebastian Kurz, à Vienne, le 14 mai. | Ronald Zak / AP

Il a neuf ans de moins qu’Emmanuel Macron : de quoi détourner les projecteurs, qui sont toujours braqués sur le jeune président des Français. Agé d’à peine 30 ans, le ministre autrichien des affaires étrangères, Sebastian Kurz, ambitionne de devenir le plus jeune dirigeant de son petit pays d’Europe centrale. Et, au passage, de l’Europe tout entière.

Il a déjà réalisé un exploit, en se faisant désigner, dimanche 14 mai, comme le nouveau leader du vieillissant Parti populaire (ÖVP, chrétien conservateur). Et, à peine nommé, il a annoncé que sa formation allait faire tomber le gouvernement de coalition avec les sociaux-démocrates. Des élections anticipées devraient donc avoir lieu, en septembre ou en octobre, alors même que les Autrichiens ont voté pour la présidentielle en décembre 2016 – un scrutin éprouvant, à l’occasion duquel l’extrême droite a réalisé un score historique (46 %).

M. Kurz est pressé. Il ne veut pas attendre la prochaine échéance électorale, prévue en 2018, car, selon un sondage publié très récemment par le quotidien libéral Der Standard, les électeurs le préféreraient à l’actuel chef de gouvernement, Christian Kern, 51 ans, ainsi qu’au dirigeant de l’extrême droite (FPÖ, Parti autrichien de la liberté), Heinz-Christian Strache, 47 ans. « Il a réussi à disloquer sa formation politique d’origine, analyse Patrick Moreau, chercheur au CNRS et spécialiste de la politique autrichienne. Il en a fait un parti à sa mesure et veut casser le système en profitant de sa jeunesse. Il n’a pas d’offre idéologique précise et reste très mobile pour dépasser les clivages traditionnels. »

« Wunderkind »

D’abord nommé secrétaire d’Etat à l’intégration, à 24 ans seulement, ce Viennois a déjà passé six ans au gouvernement. Désormais, c’est l’une des personnalités les plus populaires du paysage national. Sur la scène internationale, il s’est notamment fait connaître en manœuvrant habilement avec les pays des Balkans pour fermer aux migrants la frontière entre la Macédoine et la Grèce, début 2016. Depuis, Angela Merkel prend au sérieux ce grand jeune homme aux yeux bleus. Il est aussi le seul ministre des affaires étrangères dans l’UE à réclamer la fin des négociations d’adhésion avec la Turquie. Cette position lui vaut régulièrement des attaques verbales depuis Ankara. Au sein de la famille du Parti populaire européen (PPE, droite), il est également, avec les représentants de la CSU bavaroise, l’un des plus fidèles soutiens du dirigeant populiste hongrois Viktor Orban.

La perspective de voir une telle personnalité ravir la chancellerie à la gauche, qui l’occupe depuis 2007, est tout à fait envisageable. Car, sans forcément connaître vraiment ses positions sur la politique intérieure et l’économie, les Autrichiens raffolent de leur « Wunderkind », encensé aussi par les tabloïds. « C’est un talent exceptionnel », dit de lui Thomas Stelzer, le gouverneur conservateur de la province de Haute-Autriche. Le seul à même de redresser la barre d’un « bateau qui coule », selon l’ancien président du Parlement et candidat malheureux à la présidence, Andreas Khol.

En Autriche, le monde paysan fournit toujours le gros des troupes de l’ÖVP, qui compte plus d’adhérents – 500 000 dans un pays de 8,7 millions d’habitants – que l’Union chrétienne-démocrate de la chancelière allemande. Ce maillage assure à la droite une présence sans interruption au gouvernement fédéral depuis trois décennies. Mais son réseau est en déclin : les réserves des voix de l’ÖVP se trouvent dans les villes, et surtout dans la capitale, qui ne cesse de grossir. Sebastian Kurz a donc pour mission de séduire les citadins acquis à la gauche, aux écologistes et à l’extrême droite. Il doit aussi convaincre les immigrés naturalisés, souvent musulmans, alors que l’ÖVP conserve son image de « parti de l’Eglise » et s’adresse traditionnellement aux catholiques. Dans la capitale, près de 10 % du corps électoral est né à l’étranger.

« Junior partner »

Pour mener à bien cette mutation, M. Kurz, qui n’a pas eu le temps d’achever ses études de droit, a exigé une modification des statuts de son parti, afin de renforcer ses pouvoirs de nomination. Il ne souhaite pas mener une équipe exclusivement composée d’adhérents, mais un mouvement ouvert, notamment aux acteurs de la société civile et à d’autres élus venus de formations concurrentes. Il entend avoir la haute main sur chaque décision et biffer toute référence partisane trop marquée.

Une dérive autoritaire « à la Erdogan » selon l’extrême droite, qui ironise sur « l’emballage tout neuf d’un vieux produit ». Herbert Kickl, le secrétaire général du FPÖ, se moque même d’un « prétendu parti de gouvernement aux abois, remettant son destin entre les mains d’un trentenaire ». Mais ces invectives masquent mal les inquiétudes d’un courant idéologique déçu par les précédents scrutins en France et aux Pays-Bas, au cours desquels l’ascension des alliés du FPÖ a marqué le pas. La formation sait que Sebastian Kurz pourrait venir contrecarrer ses ambitions.

Il y a quelques mois, le jeune ministre expliquait au Monde vouloir tout faire pour empêcher M. Strache d’arriver en tête aux législatives et de diriger le gouvernement. Une telle éventualité plongerait selon lui le pays dans une profonde incertitude politique. Le parti FPÖ a été fondé par d’anciens nazis. Il maintient l’ambiguïté sur ses intentions réelles concernant l’avenir de l’Autriche dans l’Union européenne. M. Kurz a déjà fait savoir qu’il n’entendait pas devenir le « junior partner » des fossoyeurs de la construction européenne, dans un pays de nouveau cloué au pilori par ses partenaires, dix-sept ans après la précédente expérience gouvernementale entre la droite et l’extrême droite.

Ticket

Pourtant, en Autriche, le système électoral à la proportionnelle intégrale oblige les partis à former des alliances, et il paraît peu probable que la gauche et la droite franchissent à elles seules la barre des 50 % nécessaires pour gouverner ensemble, comme elles le font traditionnellement depuis 1945. Elles n’ont de toute façon plus l’envie de reconduire un système qui n’aura fait que gonfler les scores de l’extrême droite au fil des ans, jusqu’à faire d’elle le modèle inégalé de toutes les formations populistes en Europe.

Si M. Kurz remportait le scrutin, il pourrait faire pression sur le FPÖ pour qu’il évince Heinz-Christian Strache, jugé trop sulfureux, en échange d’un ticket renvoyant les sociaux-démocrates dans l’opposition. De son côté, la gauche n’écarte pas non plus de s’allier à l’extrême droite contre les conservateurs. Elle l’a déjà fait entre 1983 et 1986. Fébrile depuis le début de la crise des réfugiés, elle a pris un tournant eurosceptique et populiste. Christian Kern s’est personnellement montré ouvert au dialogue. Avec ou sans son chef de file, le FPÖ semble donc avoir les meilleures chances de revenir au pouvoir. Reste à savoir grâce à qui.