Manifestation à Moscou contre le projet de relogement de milliers d’habitants, le 14 mai. | ALEXANDER NEMENOV / AFP

Andreï Leonov tient dans la main la photo de l’objet de son courroux : un petit immeuble de cinq étages, coquet avec sa façade jaune malgré son âge – il a été construit en 1956 –, et promis à la démolition. Ce jeune cadre de 31 ans a rejoint, dimanche 14 mai, des milliers de Moscovites – 5 000 selon la police, plus de 20 000 selon l’organisation indépendante Compteur blanc, qui recense les participants lors de manifestations – venus protester, au cœur de la capitale russe, contre un gigantesque projet d’urbanisation qui prévoit la destruction de 4 566 bâtiments soviétiques.

Adopté en première lecture le 20 avril à la Douma, la Chambre basse du Parlement russe, le projet annoncé quelques semaines auparavant par Vladimir Poutine et le maire de Moscou, Sergueï Sobianine, devait concerner 8 000 immeubles, soit 1,6 million d’habitants. Mais même réduit de moitié, il suscite une vive inquiétude parmi les dizaines de milliers de personnes qui devront être relogées. Comme d’autres, Andreï Leonov a découvert que son bâtiment figure sur la liste publiée le 3 mai par la mairie. Les premières réunions organisées par les préfets de quartier ont tourné à la foire d’empoigne. Les autorités n’avaient aucune information à donner à la population.

« On s’en fout bien des gens »

Les habitants des « khrouchtchevki », ces logements de masse ainsi baptisés car construits sous Nikita Khrouchtchev dans les années 1950, lors de ce qui fut le plus vaste plan d’urbanisation soviétique, sont les premiers touchés. « A la place des petits immeubles, ils veulent construire de grands buildings juste pour de la corruption, enrage Andreï Leonov. On s’en fout bien des gens. »

Ce n’est pas la nostalgie qui anime les protestataires, mais plutôt la conviction que le respect de la propriété privée – instaurée après la chute de l’URSS – est ici bafoué. « C’est une catastrophe pour la ville et ses habitants, assure Dmitri B., un jeune entrepreneur. Aujourd’hui, on nous présente ça comme l’amélioration de l’habitat, mais derrière, ils sont à la recherche de gros marchés. »

A un an de l’élection présidentielle et à moins de cinq mois de l’élection à la mairie de la capitale, qui compte 12 millions d’habitants, la protestation a pris parfois une tournure politique. Dans le cortège, certains portaient des pancartes avec le slogan « Nadoel » (« on en a marre ») avec l’effigie du maire, ancien directeur de cabinet de Vladimir Poutine. L’opposant Alexeï Navalny, venu en famille avec sa femme et son fils, a été expulsé du cortège par des policiers.

Mais beaucoup, dans la foule, sont descendus dans la rue pour la première fois. C’est le cas d’Alexandra et Andreï Oulinkine, parents de quatre enfants. Plutôt propouvoir jusqu’alors, ils se disent choqués par la démolition de milliers de bâtiments. Il y a deux ans, le couple a acheté 10 millions de roubles (160 000 euros) un appartement pour s’installer dans un « quartier au calme ». Dimanche, le maire a publié sur son compte Vkontakte, l’équivalent russe de Facebook, ce message qui se voulait rassurant : « Le point de vue des Moscovites sera pris en compte autant que possible. »