Les coups de klaxon ont remplacé les tirs en l’air de kalachnikov. A l’entrée sud de Bouaké, il régnait comme une douce euphorie, mardi 16 mai, à la mi-journée. Bloquées depuis plus de quatre jours, des dizaines de poids lourds pouvaient enfin entrer dans la ville, la deuxième de Côte d’Ivoire. Des taxis-brousses où s’entassaient les voyageurs s’élançaient pour leur part en direction de Yamoussoukro et d’Abidjan.

Sur le bas-côté, les représentants des mutins en treillis affichaient des visages détendus. Ils venaient d’annoncer la fin de leur mouvement de contestation qui touchait plusieurs villes de Côte d’Ivoire depuis vendredi. « Nous sommes satisfaits de l’accord, nous rentrons dans nos casernes », résume le sergent Cissé Fousseni, un des porte-parole des mutins. La veille, le ministre de la défense, Alain-Richard Donwahi, avait déclaré à la télévision nationale depuis la capitale économique Abidjan, également affectée par la grogne, qu’un accord avait été conclu avec les militaires en colère.

Même si un retour à la normale s’était déjà amorcé dans le pays, la confirmation de l’engagement des mutins se faisait attendre. Comme les autorités, les représentants refusent de rendre public le contenu du texte, « c’est secret défense ». En aparté, un officier masquait mal sa satisfaction : « Oui, ils vont nous verser les 7 millions de francs CFA restants [environ 10 000 euros par soldat]. » C’est la totalité du montant revendiqué par les mutins. Cinq millions vont être payés immédiatement, et le reste en juin.

Pour mettre fin aux premières mutineries en janvier, le gouvernement avait promis de verser 12 millions de francs CFA de primes par soldat, dont 5 millions sur-le-champ. Jeudi, certains représentants des soldats avaient annoncé, devant le président Alassane Ouattara et les caméras de télévision, renoncer au solde de leurs primes. Dès le lendemain, une partie des 8 400 soldats concernés par l’accord, tous des ex-rebelles du Nord, soutiens d’Alassane Ouattara lors de la crise post-électorale de 2010-2011, avaient laissé éclater leur colère en réclamant les millions promis.

« Ce sont des enfants gâtés ! »

« Ça a été difficile, mais nous sommes contents, nous avons obtenu ce que nous voulions », savoure le sergent Sidick. Ont-ils obtenu des garanties pour que le gouvernement tienne cette fois-ci sa promesse ? « Oui, il la tiendra », assure le gradé, confiant. Et d’ajouter : « Nous, les mutineries, on n’en veut plus, on veut que ça s’arrête là, ce n’est pas notre souhait de sortir à chaque fois dans la rue et de tirer en l’air. »

Derrière lui, les policiers ont repris leur poste, arrêtant les véhicules avec une herse glissant sur le bitume, pour contrôler les papiers. « Nous sommes contents que nos frères d’armes aient trouvé une solution à leur mécontentement », réagit l’officier Paulin Dobo.

A quelques pas, un dirigeant d’une compagnie de transports est soulagé. Il regrette que les troubles aient autant duré. « Mes bus n’ont pas pu circuler, et j’ai perdu des millions de francs par jour, se désole Abdoulaye Dumbia. J’espère que l’Etat va nous dédommager, car c’est de sa faute s’il n’arrive pas à assurer notre liberté de circulation, les civils en ont marre de toujours payer les pots cassés ! » Et d’enchaîner sur l’image du pays renvoyée à l’international : « Comment voulez-vous attirer les investisseurs si la sécurité n’est pas garantie dans le pays ? »

Pour Salomon Sanogo, commerçant, les mutins sont les premiers fautifs : « Ce sont des enfants gâtés, ils se croient seuls au monde, mais nous avons tous des problèmes en Côte d’Ivoire ! » En pratiquant la politique du chéquier pour restaurer l’ordre, les autorités ivoiriennes risquent de gréver davantage les finances publiques au moment où le pays, premier producteur mondial de cacao, souffre de la chute du cours et d’une baisse de rentrées de devises. Le succès du mouvement des mutins pourrait susciter des vocations chez d’autres catégories de fonctionnaires.

Comprendre les mutineries en Côte d’Ivoire
Durée : 03:41