Emma Watson, le 7 mai, au Shrine Auditorium de Los Angeles. | MARIO ANZUONI / REUTERS

Sur la scène du Shrine Auditorium de Los Angeles, le 7 mai, l’actrice britannique Emma Watson a été sacrée « meilleur(e) acteur/trice » pour sa prestation dans le film La Belle et la Bête, lors des MTV Awards. Elle a devancé des camarades féminins – Hailee Steinfield – et masculins – Hugh Jackman ou James MacAvoy.

Très émue, la comédienne, connue pour son implication dans le combat pour l’égalité des sexes, a salué ce prix d’un nouveau genre en le qualifiant de « décision audacieuse » :

« Proposer la première récompense du cinéma qui ne sépare pas les nommés en fonction de leur sexe, cela nous en dit beaucoup sur notre perception de l’expérience humaine. La décision de MTV de créer un prix non genré (…) prend un sens différent pour chacun. Pour moi, cela signifie que jouer la comédie, c’est se glisser dans la peau d’un personnage. Et il n’y a pas besoin de le séparer en deux catégories. L’empathie et la faculté à utiliser son imagination ne devraient pas avoir de limites. »

Emma Watson fait bien de préciser que cette nouvelle catégorie « prend un sens différent pour chacun ». Car si elle peut être considérée comme relever d’un parti pris égalitariste, on peut également se demander si réunir les deux catégories, sans prendre en compte le sexe, est un choix judicieux à l’heure où les femmes sont sous-représentées dans l’industrie du cinéma

Qui décide si on est un homme ou une femme

Tel qu’elle est définie, cette récompense est censée englober toutes les identités existantes et permettre aux communautés lesbienne, gay, bisexuelle, transsexuelle, queer, intersexe, agenre-asexuelée (LGBTQIA) d’accéder à une forme de reconnaissance de la diversité sexuelle dans une industrie assez figée. Toutes et tous « renvoient à des personnes qui ne s’identifient pas à la norme, commente le sociologue Eric Fassin, spécialiste français du genre. Cette nécessité de se définir comme homme ou femme est très coûteuse pour une partie d’entre nous, pour toutes celles ou pour tous ceux qui n’arrivent pas à se couler dans les regards des autres. » La vraie revendication ne porte plus sur la question de savoir si « on est vraiment homme ou femme, mais de savoir qui en décide ».

Ce n’est pas un hasard si Emma Watson a reçu le prix des mains d’Asia Kate Dillon, actrice qui se définit elle-même comme « non binaire », ne se reconnaissant pas dans l’opposition entre les genres féminin et masculin. Cette dernière, connue pour son rôle dans les séries Billions et Orange is the New Black, avait démarché les organisateurs des Emmy Awards, où elle était nommée dans une catégorie féminine, pour une reconnaissance de son identité :

« J’aimerais savoir si, selon vous, les termes d’acteur et d’actrice ont une connotation anatomique et identitaire et pourquoi il est absolument nécessaire de les distinguer ainsi. Si les catégories acteurs et actrices sont supposées représenter la “meilleure performance d’une personne se définissant comme femme” et la “meilleure performance d’une personne se définissant comme homme” alors il n’y a pas de place pour mon identité qui se situe en marge de ce système binaire. »

Cette volonté de non-classification a connu quelques ratés lors des MTV Awards. Comme l’explique Gwénaëlle Le Gras, maîtresse de conférences en études cinématographiques et spécialiste du genre au cinéma :

« Au moment où Emma Watson monte sur scène, l’inscription “Best Actor” (meilleur acteur) apparaît à l’écran. La manière dont cela a été formulé est donc problématique. Si on avait parlé de “meilleure performance”, il n’y aurait pas eu d’ambiguïté. Cette incrustation est significative des dérives essentialisantes possibles liées à ce type de prix, s’ils ont vocation à remplacer les prix actrices et acteurs existants, même s’il y a bien sûr des côtés positifs. »

Bien que nouvelle et donc fragile, la démarche a le mérite de s’inscrire dans une volonté progressiste. « A partir du moment où la question devient visible, c’est un signal fort d’une évolution des mentalités », souligne Gwénaëlle Le Gras.

L’invisibilisation des inégalités hommes-femmes

Les récompenses non genrées sont un phénomène récent et encore minime dans les cérémonies traditionnelles, mais on devine déjà qu’elles comportent un revers de la médaille. Car ce prix met en concurrence directe les hommes et les femmes pour une récompense dans un secteur où ils ne « dansent » pas sur un pied d’égalité. Largement sous-représentées par rapport à leurs homologues masculins, les femmes risqueraient de se voir davantage mises à l’écart par un prix non genré. C’est ce qu’analyse la chercheuse Gwénaëlle Le Gras :

« Ce prix invisibilise les problèmes d’inégalité qui sont patents au cinéma. On sait bien que sans catégorie genrée, les dés sont pipés. Les rôles masculins sont toujours plus centraux dans les films là où bon nombre de rôles féminins restent des faire-valoir. Les réalisateurs sont aussi plus nombreux que les réalisatrices et gagnent plus d’argent. Ce type de prix, qui abolit les prix genrés ne peut favoriser actuellement qu’un retour en arrière. »

Autrement dit, récompenser au même niveau sur les scènes hollywoodiennes le travail des acteurs et des actrices finirait par nuire au combat contre l’inégalité salariale (tel que médiatisé par Jennifer Lawrence, par exemple) dans une industrie où, pour prendre le seul exemple des réalisatrices, elles se sont que 7 % derrière la caméra pour les 250 films ayant gagné le plus d’argent en 2016.

Le combat des féministes moins voyant

Pour le sociologue Eric Fassin, le danger d’un tel prix réside dans l’oubli du féminisme dans sa forme la plus classique :

« Est-ce que l’on ne risque pas de perdre de vue la forme principale de domination qu’est la domination masculine que subissent les femmes ? C’est un soupçon que nourrissent bien des féministes à l’encontre des mouvements que l’on appelle queers. »

En mettant en avant des minorités peu représentées, le combat des féministes deviendrait automatiquement moins visible. C’est un paradoxe auquel sont confrontés bien des spécialistes du genre, comme le concède Christine Detrez, professeure à l’ENS de Lyon en sociologie de la culture et du genre.

Elle mentionne le conte philosophique de Thierry Hoquet, Sexus Nullus, ou l’égalité, où l’auteur imagine un candidat à la présidence ayant pour seul programme l’annulation de la mention du sexe à l’état-civil. Le seul électorat à trouver à redire à cette mesure est… l’électorat féministe, car son unique but est de lutter pour l’égalité des femmes et des hommes. Qui ne trouverait que sa raison d’être dans cette distinction.