Mobilisation devant la préfecture de Bordeaux, le 20 mars 2017, des salariés de l’usine Ford de Blanquefort. | MEHDI FEDOUACH / AFP

Après sept ans de bonheur économique, le deuxième constructeur américain, Ford, est-il en train d’entamer en 2017 une période plus compliquée ? Il est vrai que les mauvaises nouvelles ont tendance à s’accumuler depuis le début de l’année. Elles pourraient culminer avec l’annonce dans les prochains jours d’une vague de suppression de plusieurs milliers d’emplois à travers le monde.

C’est un article du Wall Street Journal paru lundi 16 mai, qui a vendu la mèche. Le grand quotidien new-yorkais des affaires indique que 10 % des effectifs de Ford pourraient être touchés, soit environ 20 000 emplois. Ce plan devrait concerner essentiellement des salariés du groupe, ajoute le journal.

Ford n’a pas confirmé l’information mais une source proche du dossier a assuré à l’Agence France Presse, sous couvert d’anonymat, que le constructeur automobile devrait annoncer ces suppressions d’emploi dans les prochains jours. Le plan devrait toucher la plupart des marchés dans lesquels évolue Ford, selon cette même source.

Des promotions pour écouler les stocks

Qu’arrive-t-il à l’entreprise ? Le seul constructeur américain à s’être sorti de la grande crise de 2008-2009 sans intervention de l’Etat (contrairement à GM et Chrysler, temporairement nationalisés par l’administration Obama), surfait depuis 2010, comme ses concurrents, sur une conjoncture automobile mondiale exceptionnelle, en particulier en Chine et aux Etats-Unis.

En Chine, la marque est entrée dans une bataille commerciale qui cisaille ses marges.

Cette année est d’un autre tonneau. Ford est confronté au plafonnement du marché automobile américain après des années de ventes record, ce qui incite à de grosses promotions pour écouler les stocks outre-Atlantique. Par ailleurs, la concurrence s’accroît sur un marché chinois en phase de décélération, conduisant la marque à entrer dans une bataille commerciale qui cisaille les marges.

Dans le même temps, la société investit tous azimuts dans les véhicules autonomes, via le rachat de Startup spécialisées dans l’intelligence artificielle (Argo AI), et dans l’électrique au moment où de plus en plus de grandes villes veulent interdire les véhicules pollueurs. L’ambition du PDG Mark Fields est affichée : faire passer Ford de constructeur automobile à fournisseur de mobilité ans un monde connecté et dépollué.

Mais ces investissements pèsent lourd. Ford a ainsi enregistré au premier trimestre une explosion de 7 % de ses coûts, également due à la hausse des matières premières. Résultat, sur le premier trimestre, le constructeur auto a annoncé un plongeon de ses bénéfices de 35 % par rapport au premier trimestre 2016, qui, il faut le dire, avait été le plus rentable des 114 ans d’histoire de la marque à l’Ovale bleu.

Economiser 3 milliards de dollars dès cette année

Et le patron est sous la pression de ses actionnaires pour clarifier sa stratégie. Ford s’est vu dépasser par Tesla en termes de capitalisation boursière en avril, alors que le spécialiste californien des véhicules électriques produit à peine 100 000 voitures par an, contre des millions au groupe automobile. Avec cette cure d’austérité, Ford aurait l’espoir d’économiser quelque 3 milliards de dollars dès cette année.

« Tout ceci est pure spéculation, indique-t-on officiellement chez Ford. Nous n’avons pas encore annoncé de mesures d’économie concernant les salariés. Nous restons concentrés sur trois priorités stratégiques qui vont créer de la valeur et générer une croissance des bénéfices : améliorer la rentabilité de notre cœur d’activité, transformer les activités sous-performantes et investir rapidement mais prudemment dans les nouveaux business. (…) Réduire les coûts et devenir aussi leste et efficace que possible font partie de ce travail ».

Il est peu probable que cela suffise pour empêcher l’angoisse de monter d’un cran parmi les 200 000 salariés du groupe dans le monde. Et singulièrement en France. Les 1 000 salariés du seul gros site industriel de Ford, implanté à Blanquefort (Gironde) dans la banlieue bordelaise, étaient déjà un peu inquiets au sujet de la pérennité de l’activité de l’usine qui produit des boîtes de vitesse pour le marché européen.

« Les profits sont là 10 milliards d’euros en 2016 et ce sont toujours les mêmes discours de réduction des coûts, dit Philippe Poutou, ex-candidat à l’élection présidentielle et délégué CGT de Ford Blanquefort. On savait notre usine menacée… Le danger devient encore plus grand avec cette annonce. » Des salariés de Ford (qui emploie plus de 1 300 personnes en France) avaient déjà manifesté en janvier et février pour la pérennité de l’activité à Blanquefort. D’autres actions sont d’ores et déjà prévues en juin.