L’« attorney general » de l’Etat d’Hawaï (ministre local de la justice), Doug Chin, devant la cour d’appel de Seattle (Washington), le 15 mai. | JASON REDMOND / AFP

Une vague d’indignation internationale, un Parti républicain partagé, un imbroglio juridique… le très controversé décret migratoire, paraphé une première fois le 27 janvier par Donald Trump au nom de la sécurité des Etats-Unis, puis réécrit quelques jours plus tard après avoir été bloqué par des juges d’Hawaï et de l’Etat du Maryland, n’en finit pas de placer son administration dans une situation difficile.

Où en est la seconde mouture du décret anti-immigration ?

Le 27 janvier, Donald Trump soulevait une vague d’indignation internationale en signant un décret intitulé « Protéger la nation contre l’entrée de terroristes étrangers aux Etats-Unis ». L’ordre présidentiel interdisait pendant quatre-vingt-dix jours toute entrée sur le territoire américain aux ressortissants de sept pays, tous à majorité musulmane : Irak, Iran, Libye, Somalie, Soudan, Syrie et Yémen. Les réfugiés syriens, eux, étaient définitivement interdits d’entrée, jusqu’à nouvel ordre.

Une semaine plus tard, son application était bloquée par un juge fédéral de Seattle, décision ensuite validée par une cour d’appel de San Francisco, le 9 février, poussant le président républicain à revoir sa copie.

Le 15 mars, Donald Trump subit un deuxième camouflet lorsqu’un juge d’Hawaï suspend la deuxième version du décret signée dix jours plus tôt. Comme pour le premier texte, le juge fédéral Derrick K. Watson a estimé que le décret visait spécifiquement une confession : l’islam. Le 16 mars, une autre suspension partielle du décret révisé était décidée par un juge fédéral du Maryland.

Une semaine après avoir tenté de défendre son décret devant les juges de la cour d’appel du quatrième circuit de Richmond, capitale de la Virginie, qui traitait la décision du Maryland le 7 mai, le gouvernement a de nouveau essayé, lundi 15 mai, d’exposer le bien-fondé de son initiative devant la cour d’appel de Seattle, sur la Côte ouest, chargée d’examiner la décision prise à Hawaï.

A nouveau, les magistrats de la cour d’appel fédérale (neuvième circuit) se sont inquiétés de la rhétorique antimusulmane utilisée par le candidat républicain lors de son accession à la présidence et ont fait part de leurs doutes quant à l’opportunité du texte, qui ferme les frontières aux réfugiés et suspend l’octroi de visas pour les ressortissants d’Iran, de Libye, de Syrie, de Somalie, du Soudan et du Yémen.

A nouveau encore, l’avocat du ministère de la justice a répété le principal argument de l’administration Trump : les questions d’immigration et de sécurité nationale relèvent de la Maison Blanche. Etrange répétition, qui semble préfigurer, à terme, un renvoi du dossier devant la Cour suprême des Etats-Unis.

Que dit le gouvernement ?

L’avocat du ministère de la justice, Jeffrey Wall, présent à Richmond et à Seattle, a déclaré aux juges que la directive du président s’inscrit dans son devoir de sécuriser les frontières de la nation et qu’elle ne fait pas de discrimination envers les musulmans dans sa langue ou dans son fonctionnement.

Dans le passé, plusieurs présidents ont bloqué des ressortissants étrangers : Jimmy Carter a refusé l’entrée à certains Iraniens lors de la crise des otages (1979-1981), son successeur, Ronald Reagan, a empêché les Cubains d’entrer aux Etats-Unis s’ils n’avaient pas de membres de leur famille présents sur le territoire et Barack Obama a écarté des fonctionnaires nord-coréens. Lundi, Jeffrey Wall a déclaré que le décret n’avait rien de religieux. « Il s’adresse aux étrangers à l’étranger, qui n’ont pas les droits constitutionnels, a-t-il déclaré, avant d’ajouter : Le président a précisé qu’il parlait de groupes islamiques terroristes et des pays qui les hébergent ou les soutiennent, comme [l’organisation] Etat islamique ou Al-Qaida. »

« La priorité du président est que l’on avance les bons arguments pour mettre en vigueur le décret d’interdiction », a assuré Sean Spicer, porte-parole de la Maison Blanche.

Que disent les Etats et les associations opposés au décret ?

Ils prétendent que le décret viole la Constitution en raison de son aspect discriminatoire envers l’islam. Ils rappellent les déclarations du candidat Donald Trump, faites à plusieurs reprises lors de la campagne présidentielle, affirmant qu’il interdirait aux musulmans d’entrer dans le pays. En prononçant sa décision de bloquer le décret en mars, le juge Derrick Watson, à Honolulu, a évoqué « une preuve importante et irréfragable d’hostilité religieuse » dans les déclarations de campagne de Trump.

S’exprimant devant le neuvième circuit, lundi, Neal Katyal, l’avocat d’Hawaï, a déclaré que M. Trump avait maintes fois parlé d’une « interdiction musulmane » même après la campagne. « Pas besoin d’être dans la tête du président, pas besoin d’être Sigmund Freud » pour savoir ce que Donald Trump pense des musulmans, a-t-il affirmé à la barre. Selon l’avocat, le président se garde bien de se désavouer sur la question : « Il pourrait par exemple dire ce qu’a dit le président [George W.] Bush après le 11 septembre [2001], que le terrorisme n’a rien à voir avec la religion musulmane, que l’islam n’est pas cela, que l’islam, c’est la paix. Au lieu de quoi, il dit que l’islam nous déteste. »

Les opposants au décret rappellent aussi que le président a certes une large autorité sur l’immigration, mais que ce pouvoir s’étend uniquement dans le cadre défini par le Congrès. Parce que le Congrès a déjà adopté un plan concernant les personnes susceptibles d’être interdites de territoire pour des activités terroristes, disent-ils, le président ne peut pas passer outre un tel dispositif avec son décret.

Quel pouvoir a le président ?

Plusieurs amendements à la Constitution sont concernés par ce décret : le 14e, qui assure à tous l’« égale protection des lois », le 5e, qui assure la « procédure régulière » (« due process of law »), c’est-à-dire la garantie de ne pas subir un traitement arbitraire de la part de l’Etat ou d’une de ses branches, et le 1er, qui interdit à l’Etat de favoriser des religions aux dépens d’autres religions.

L’idée d’interdire aux adhérents d’une religion d’entrer sur le territoire américain n’est donc pas en conformité avec ces principes. Le fait de déguiser une telle « préférence », disons, ethnoreligieuse, en langage national ou territorial et d’abuser donc des droits de tous les ressortissants de plusieurs Etats ne change rien sur le fond, selon James Cohen, spécialiste des Etats-Unis.

Toutefois, en 1952, en pleine période de paranoïa d’infiltration communiste, le Congrès a donné au président l’autorité en vertu de la loi sur l’immigration et la nationalité d’agir : « Chaque fois que le président constate que l’entrée d’étrangers ou de toute classe d’étrangers aux Etats-Unis serait préjudiciable aux intérêts des Etats-Unis, il peut (…) suspendre l’entrée de tous les étrangers ou de toute catégorie d’étrangers en tant qu’immigrants ou non-immigrés, ou imposer à l’étranger des restrictions qu’il jugera appropriées », dit la loi.

Celle-ci fut ensuite sérieusement limitée par une autre loi de l’immigration adoptée en 1965 par le Congrès et qui mit fin aux quotas par origine nationale, dont les connotations racistes étaient clairement reconnues. La façon dont ces lois autorisent ou contraignent les actions du président Trump est un aspect clé du dossier.

Que va-t-il se passer maintenant en termes d’immigration ?

Les deux tentatives visant à fermer les frontières ont entraîné une chute du nombre de réfugiés aux Etats-Unis au cours des deux derniers mois, bien que ces décrets soient bloqués par les tribunaux. Le nombre de réfugiés arrivant aux Etats-Unis a atteint 2 070 personnes en mars, soit le plus faible chiffre enregistré ces six dernières années – si l’on excepte l’année 2013, lorsque le gouvernement fédéral était à l’arrêt.

Le décret signé par M. Trump en janvier fait passer le seuil des réfugiés de 110 000 à 50 000 individus. Ce chiffre n’a été bloqué par une cour qu’à la mi-mars. Durant les semaines précédentes, le département d’Etat a sévèrement limité les arrivées de réfugiés.

Qu’ont dit les juges d’Hawaï et du Maryland ?

Ni le juge Theodore Chuang, dans le Maryland, ni Derrick K. Watson, à Hawaï, n’ont retenu le raisonnement de l’administration selon lequel l’interdiction d’entrée sur le territoire concerne la sécurité nationale. Le juge Watson a indiqué que si les tribunaux ne doivent pas examiner la « psyché voilée » et les « motifs secrets » du pouvoir exécutif, « les faits ne nécessitent pas une telle enquête inadmissible ».

Toutefois, la portée des deux décisions des juges a varié. M. Watson a bloqué le gouvernement fédéral pour empêcher l’interdiction du territoire et la suspension du programme de réfugiés. Le juge Chuang a seulement bloqué l’interdiction d’entrée sur le territoire, disant qu’il n’était pas clair que la suspension du programme de réfugiés soit motivée par des préjugés religieux.

Et après ?

Les tribunaux d’appel de l’Etat de Washington et de Virginie émettront leurs décisions dans plusieurs jours, voire plusieurs mois, sans qu’aucune date n’ait été annoncée. Selon de nombreux spécialistes, les cas visant l’interdiction de voyager devraient parvenir à la Cour suprême. Ils estiment que même devant cette haute juridiction, le président américain n’est pas certain de l’emporter.

Même si les cours d’appels donnent raison au gouvernement Trump – ce qui, au vu de la composition des juges du neuvième circuit (tous nommés par Barack Obama), paraît peu probable –, des recours peuvent encore être déposés par les Etats. Une hypothèse qui renforce encore un peu plus l’idée que l’affaire se terminera entre les mains des juges de la Cour suprême des Etats-Unis.