Le Front national semble tiraillé entre deux tentations : celle de prendre part à la recomposition de la vie politique qui s’annonce avec la nomination du juppéiste Edouard Philippe à Matignon, et celle, toute aussi prégnante, de régler ses comptes internes. Car depuis la défaite de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle, le parti d’extrême droite, qui revendique la place de chef de file de l’opposition au président de la République, Emmanuel Macron, ne cesse de chercher des responsables à son échec subi le 7 mai.

La présidente du FN ne s’était pas exprimée depuis, mis à part pour regretter la retraite politique de sa nièce Marion Maréchal-Le Pen. Elle est sortie de son silence, lundi 15 mai, pour commenter la nomination comme premier ministre du maire Les Républicains du Havre. « C’est l’alliance sacrée des vieilles droite et gauche, unies dans leur volonté de se maintenir en place à tout prix », a estimé Mme Le Pen dans un communiqué, jugeant désormais qu’« en aucun cas LR ne peut incarner une opposition digne de ce nom ».

Cette petite révolution peut permettre, en théorie, au FN de se positionner comme le meilleur opposant à un « système UMPS » qui trouverait là sa plus parfaite expression. Le parti lepéniste peut aussi rêver de devenir le héraut d’une « vraie » droite – bien que cet objectif ne soit pas nécessairement partagé par tout le monde au sein du FN.

« Le FN ne peut pas avoir le monopole de l’opposition »

Mais il n’est pas évident que ces différentes volontés se traduisent par un succès dans les urnes au moment des élections législatives, les 11 et 18 juin. Notamment depuis la fin de l’accord politique qui se dessinait avec Debout la France, un parti qui aurait pu rabattre vers le FN des voix de la droite classique. Une centaine de retraits réciproques étaient envisagés au premier tour du scrutin entre les deux formations. Mais le parti dirigé par Nicolas Dupont-Aignan, qui a soutenu Mme Le Pen au second tour de la présidentielle, a finalement fait machine arrière, samedi. « Il y a un petit changement, c’est qu’on n’a pas gagné [la présidentielle], a expliqué le député de l’Essonne, lundi, sur RMC. Le FN ne peut pas avoir le monopole de l’opposition. »

Le coup est dur pour le parti d’extrême droite, qui avait présenté cette alliance comme un moment « historique ». « Avoir des candidats FN et DLF au premier tour, cela permet d’élargir la base », veut se rassurer un dirigeant frontiste. Mais le parti est renvoyé à l’image d’une formation isolée sur la scène politique. Et cette rupture s’accompagne de quelques coups de griffe de la part de son éphémère partenaire.

« Si Marine Le Pen a perdu, c’est peut-être parce qu’elle n’a pas assez infléchi son programme », notamment sur la sortie de l’euro qu’elle propose, a estimé M. Dupont-Aignan.

Un sujet qui tient particulièrement à cœur au vice-président du FN, Florian Philippot, qui a même menacé de quitter son parti s’il devait reculer sur cette mesure impopulaire. Le secrétaire général du FN, Nicolas Bay, a dénoncé un « chantage » de la part du bras droit de Marine Le Pen ; et de plus en plus de voix en interne se font entendre pour réclamer un retrait de M. Philippot, vu comme un des responsables de l’échec à la présidentielle. « Philippot ne sert pas la cause. Il apporte du professionnalisme, mais il a une pensée de gauche : qu’il aille chez Mélenchon », s’agace un parlementaire frontiste.

Pour mieux se défendre, le député européen a ouvert les hostilités en vue du congrès frontiste, qui doit avoir lieu fin 2017 ou début 2018. Il a lancé, lundi, une « association » baptisée « Les Patriotes », qui a vocation à « soutenir Marine [Le Pen] dans la refondation » du FN, et à permettre au parti de rassembler au-delà de ses bases. Pas besoin d’avoir sa carte du FN pour adhérer à cette association. La démarche est qualifiée d’« inédite » par certains frontistes expérimentés. Selon un conseiller régional, M. Philippot a en tête deux objectifs : « Le congrès. Ou la scission. »