Le Conseil constitutionnel. | THOMAS SAMSON/AFP

Le Conseil constitutionnel va dire mardi 22 décembre si les assignations à résidence, dans le cadre de l’état d’urgence, sont conformes à la Constitution. Le conseil des ministres du mercredi 23 décembre examinera justement le projet de réforme constitutionnelle annoncé par François Hollande après les attentats du 13 novembre. Le secrétariat général du gouvernement n’aura alors que quelques heures pour éventuellement ajuster le projet de réforme à la lumière de la décision des gardiens de la Constitution.

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Les membres du Conseil constitutionnel étaient saisis d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par l’un des activistes écologistes qui ont été assignés à résidence pendant la durée de la COP21. Cette procédure permet à un citoyen de demander au Conseil constitutionnel si la loi, sur la base de laquelle il est poursuivi, est conforme à la Constitution.

En l’occurrence, c’est l’article 6 de la loi de 1955, dont la rédaction a été modifiée par la loi de prorogation de l’état d’urgence du 20 novembre, qui fait débat. Selon ce texte, le ministre de l’intérieur peut prononcer l’assignation à résidence de toute personne « à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Et ce en dehors de tout contrôle judiciaire. Seul le juge administratif, peut, a posteriori, exercer un contrôle de ces décisions administratives.

« Insuffisance de droit »

Lors de l’examen par le Conseil constitutionnel de cette affaire, Denis Garreau, avocat des écologistes assignés, a demandé aux membres de l’instance de borner la loi. Afin que « de l’état d’insuffisance de droit et l’insuffisance de juge » qu’est l’état d’urgence ne naisse pas « l’arbitraire et l’injustice ». Ainsi a-t-il souligné que la rédaction de l’article 6 évoque pour motif d’assignation à résidence « des raisons sérieuses de penser que… ». « Nous sommes dans le procès d’intention », a-t-il affirmé lors de cette audience publique. Et de souligner que les « raisons sérieuses » se fondent sur des « propos tenus par les intéressés, des relations qu’ils ont avec des tiers » ou sur « des actes passés pour justifier d’une menace future ». Bref, l’assignation à résidence peut se décider en fonction d’« intentions prêtées à la personne mise en cause », s’inquiète M. Garreau.

Surtout, aux yeux des défenseurs des écologistes, le niveau de contrôle exercé par le juge administratif est très léger. « La note blanche est érigée en reine des preuves », s’est insurgé Alexandre Faro. Ces militants écologistes ont été assignés à résidence et ont vu leurs recours rejetés par les tribunaux administratifs puis le Conseil d’Etat sans avoir eu, à aucun moment de la procédure, la possibilité de s’exprimer devant un juge pour contester les motifs invoqués par le ministère de l’intérieur.

Pour Patrice Spinosi, avocat intervenant au nom de la Ligue des droits de l’homme, les gardiens de la Constitution doivent s’assurer que la loi respecte le principe constitutionnel de la proportionnalité. « Vous êtes la dernière digue du glissement qui est en train de s’opérer, d’un abandon du pouvoir législatif vers le pouvoir exécutif, d’un risque considérable d’une police administrative qui peut être demain une police politique ! », a-t-il conclu.

Restrictive et non privative

Sans surprise, Thierry-Xavier Girardot, intervenant au nom du premier ministre, a balayé tous ces arguments. Directeur adjoint du secrétariat général du gouvernement, il est resté sur un terrain extrêmement juridique, invoquant de nombreuses décisions passées du Conseil constitutionnel, pour juger « inopérant le grief selon lequel l’article 6 de la loi sur l’état d’urgence méconnaît l’article 66 de la Constitution ». Selon cet article : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. » Pour M. Girardot, l’assignation à résidence n’est qu’une mesure « restrictive de libertés » et non « privative de libertés ».

Quant à l’utilisation des « notes blanches » des services de renseignement, ces documents non signés, non datés et sans en-tête de service, sur lesquels s’appuient une partie des décisions d’assignation à résidence, le représentant du gouvernement renvoie la balle au juge administratif. Il lui « appartient de contrôler l’exactitude des motifs donnés par l’administration comme étant ceux de sa décision et de prononcer l’annulation de celle-ci lorsque le motif invoqué repose sur des faits matériellement inexacts ». Le problème est qu’il n’est pas certain que ce contrôle ait été opéré jusqu’à présent par les tribunaux administratifs.

Jacques Toubon : « Nos droits et libertés pourraient être durablement restreints »
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Images : Laura Geisswiller / Le Monde