Des portraits du roi Rama X. | Jorge Silva / REUTERS

La menace de la junte militaire thaïlandaise de couper l’accès à Facebook, dans un pays où il est utilisé quotidiennement par 40 millions de personnes, n’a pas été mise à exécution. Le réseau social américain avait jusqu’à 10 heures, le 16 mai, pour bloquer l’accès à 131 pages considérées par la junte comme des « menaces à la stabilité du pays ».

La date butoir passée, rien. Le bras de fer n’est pas devenu une confrontation. Le 17 mai, Facebook restait accessible en Thaïlande, tout comme les pages incriminées.

Les autorités thaïlandaises assurent que le différend est en passe d’être réglé. Les ordonnances judiciaires nécessaires à la fermeture des pages ont été envoyées à Facebook, après une traduction en anglais qui a retardé le processus. L’éventualité d’une fermeture complète du réseau social a été quelque peu survendue par les militaires, un coup de semonce sonnant un peu creux. Même le premier ministre de la junte, le général Prayut, a reconnu que son gouvernement n’avait, en réalité, aucune autorité pour bloquer unilatéralement l’accès au site.

Menaces contre le pays et coopération différée

Takorn Tantasith, responsable de la Commission nationale de l’audiovisuel et des télécommunications (NBTC), l’organisme de régulation thaïlandais, a déclaré que « Facebook coopérait » avec la Thaïlande et s’attendait à ce que la multinationale « applique [ses] ordonnances ». Officiellement, Facebook n’a rien dit, comme depuis le début de cette « crise », se contentant de dire qu’il va désormais examiner les ordonnances avant de décider ou non de bloquer l’accès aux pages incriminées, comme le stipule son règlement interne.

Ni Facebook, ni les autorités thaïlandaises n’ont identifié ces fameuses 131 pages qui doivent absolument être bloquées, restant très vagues sur leurs contenus. Les seules informations données par Takorn Tantasith sont qu’il s’agit de :

« Pages Web (…) qui ne représentent pas seulement une menace à la stabilité du pays, mais incluent également des pages illégales, par exemple pornographiques ou qui défendent le trafic d’êtres humains, et qui nécessitent du temps pour être légalement identifiées. »

La semaine dernière, la NBTC avait identifié 6 900 pages dont elle demandait le blocage, dont 600 étaient diffusées via Facebook, Google et YouTube. Elle affirme que les trois compagnies américaines l’ont fait pour la majorité d’entre elles, sauf les 131 restantes sur Facebook, qui étaient chiffrées et nécessitaient l’aide de l’entreprise.

Même si elles ne sont pas désignées comme telles, certaines de ces pages sont visées car elles contreviennent à la très sévère loi de lèse-majesté thaïlandaise, qui punit quiconque « diffame, insulte ou menace le roi, la reine, l’héritier ou le régent » d’une peine allant jusqu’à 15 ans de prison.

Insultes contre le roi et parias numériques

Une photo jugée « illégale » du roi thaïlandais en Allemagne. | https://www.facebook.com/somsakjeam

Depuis qu’elle a pris le pouvoir il y a trois ans, la junte militaire a fait de l’application de cette loi une priorité. Plus de 100 personnes ont été condamnées, dont beaucoup pour avoir posté des images ou des messages jugés offensants au roi, même dans des conversations privées, sur Facebook, selon un décompte d’Associated Press.

En avril, la Thaïlande avait déjà obtenu de Facebook qu’il bloque la diffusion de photos et de vidéos montrant le roi Vajiralongkorn – dit Rama X – se baladant en mini-débardeur dans un centre commercial d’Allemagne. Décrit comme quelqu’un qui aime bien faire la fête, le roi de 64 ans avait remplacé son père sur le trône en décembre 2016. Facebook avait obtempéré non pas, comme l’écrit Vice, parce que la vidéo « était obscène ou contrevenait à ses conditions générales, mais parce que le gouvernement thaïlandais la considérait comme une insulte au roi ».

Le clip de 44 secondes, diffusé notamment par un opposant à la monarchie exilé en France, n’est pas accessible depuis la Thaïlande, mais il a eu une résonance mondiale boostée par la demande de censure. Le fameux effet Streisand, tel qu’illustré par ce tweet du journaliste britannique Andrew MacGregor Marshall.

Marshall, avec l’historien Somsak Jeamteerasakul et l’universitaire Pavin Chachavalpongpun, ont un statut particulier en Thaïlande : il est interdit de parler avec eux sur Internet. Les trois hommes, qui n’habitent pas en Thaïlande, critiquent régulièrement la junte, la monarchie et considèrent que la loi de lèse-majesté est utilisée pour réprimer toute contestation politique.

La junte a recommandé aux Thaïlandais de ne pas suivre, contacter ou échanger avec ces parias numériques sous peine de contrevenir à la loi sur les actes criminels en ligne. Dans son classement des pays en rapport avec l’accès à Internet, l’ONG Freedom House estimait en 2016 que la Thaïlande n’était « pas libre ».