Jusqu’au dernier moment, on a cru que la France serait épargnée par une attaque informatique d’ampleur visant l’élection présidentielle.

Il y avait bien eu plusieurs alertes. Des sites de campagne brièvement bloqués, des attaques « de basse intensité », comme disent les spécialistes de la sécurité informatique, contre les sites du Front national, du Parti socialiste ou mouvement En marche ! Fin avril, un rapport de l’entreprise de sécurité informatique Trend Micro repérait, au milieu d’une liste de cibles variées d’un groupe de hackeurs russes de haut niveau, la campagne d’Emmanuel Macron.

Mais, le 5 mai au soir, à quelques heures de la fin de la campagne du second tour, le couperet est finalement tombé, avec la publication de ce qui a été appelé les « MacronLeaks » : une quantité de données personnelles et professionnelles dérobées à des membres d’En marche ! Le moment auquel ces fichiers ont été dévoilés soulève de nombreuses questions.

Déjà, en 2016, aux Etats-Unis, la publication par WikiLeaks de courriels piratés du Parti démocrate avait eu lieu plusieurs semaines avant l’élection présidentielle du 8 novembre, soit suffisamment en amont pour que ces milliers de documents livrent leurs secrets sur la campagne de la candidate Hillary Clinton. Certains révélaient des échanges importants, comme ceux qui montraient un certain parti pris de la direction du parti démocrate contre Bernie Sanders, l’adversaire le plus dangereux de Mme Clinton aux primaires, d’autres étaient plus insignifiants.

Rhétorique complotiste

Les « MacronLeaks », eux, sont intervenus trop tard pour permettre aux victimes du piratage de réagir et pour avoir un impact décisif sur le vote, alors qu’Emmanuel Macron était crédité d’une large avance sur son adversaire Marine Le Pen dans les sondages.

Ce calendrier de publication répondait visiblement à un seul but : instaurer l’idée que les candidats et la presse ont sciemment caché des choses aux électeurs français, et que ces documents étaient de nature à révéler les « secrets » en question.

C’est d’ailleurs en ce sens qu’a réagi le vice-présidfent du Front national (FN) Florian Philippot. « Les #Macronleaks apprendront-ils des choses que le journalisme d’investigation a délibérément tues ? », s’interrogeait-il sur Twitter, le 5 mai au soir, dans un exemple type de rhétorique complotiste dont le FN a été familier durant la campagne.

Mais une semaine après la publication des documents, ces derniers n’ont livré aucun smoking gun, aucune preuve d’une malversation, et encore moins d’un hypothétique scandale délibérément tu par la presse.

Mais le but, semble-t-il, n’était pas là : il était d’introduire le poison du doute contre un candidat, contre les médias, bref, contre ce que plusieurs candidats ont résumé durant la campagne sous la formule populiste du « système ».

L’extrême droite a eu beau jeu de crier à la censure, sur les réseaux sociaux, durant tout le week-end : la période de réserve, qui interdit aux soutiens des candidats comme aux médias de commenter publiquement la campagne durant les dernières quarante-huit heures, tout comme le format de ces « MacronLeaks » – près de 150 000 fichiers divers et variés – empêchaient toute analyse crédible de ces documents.

Peu importait : le but de cette publication n’était pas de prouver quoi que ce soit, mais d’alimenter une machine à rumeurs, qui a fonctionné durant tout le week-end de vote, en utilisant des montages grossiers ou en publiant des e-mails anodins sortis de leur contexte, parfois mal traduits par des militants d’extrême droite américains ne parlant pas le français.

Opération de déstabilisation

Une semaine plus tard, cette manne n’a produit aucune révélation fracassante, et l’examen des documents par Le Monde laisse supposer que les décisions les plus importantes du mouvement En marche ! n’étaient pas discutées par courriels, mais par d’autres canaux.

Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y « a rien » dans les « MacronLeaks », comme on a pu le lire ici ou là. Ces documents ont un intérêt certain, notamment pour les adversaires politiques de M. Macron. On y trouve des éléments de stratégie, des prévisions budgétaires, des échanges sur le contenu des programmes, des discussions sur le déroulement de la campagne et les législatives, des projets… Des informations précieuses pour les chercheurs, les journalistes, mais aussi, et surtout, pour les autres partis politiques, qui voient ainsi leur rival numéro un en partie mis à nu. Et qui pourront être utilisées pendant des années par les critiques du nouveau président de la République.

La gravité de cette publication ne doit pas être sous-estimée. Pour les victimes individuelles du piratage, d’abord, qui voient leur vie privée étalée sur la place publique, avec les conséquences que l’on imagine. Et pour la démocratie française, qui a fait l’objet avec cette fuite d’une tentative de manipulation sans précédent dans son histoire, orchestrée au moins en partie par une internationale d’extrême droite, qui a forgé le nom « MacronLeaks » pour tenter de faire passer cette attaque pour l’action d’un lanceur d’alerte.

Mais n’est pas lanceur d’alerte qui veut. La frontière peut être mince entre l’information et la manipulation ; les lanceurs d’alerte ont des motivations diverses, qui peuvent être liées à leur ego, à une situation personnelle ou à un agenda politique. Mais tous ont un point commun : ils entendent dénoncer un état de fait.

Les « MacronLeaks » ne dénoncent rien. Leur publication sur 4chan est symptomatique : le ou les auteurs de cette opération de déstabilisation ont choisi à dessein ce forum anarchique, anonyme et sans modération, plutôt que la presse ou un site spécialisé comme WikiLeaks.