Cela aurait pu venir de différents ­endroits. Des associations de défense des droits de l’homme, d’intellectuels ­engagés, d’hommes ou de femmes politiques. Après tout, la question de l’égalité ­entre hommes et femmes dans l’héritage – actuellement, au Maroc, une femme reçoit moitié moins qu’un homme en cas de ­succession – est récurrente au Maroc. Mais, à la surprise générale, c’est cette fois un ­ex-cheikh salafiste, Abou Hafs, qui vient de la relancer. Invité de l’émission « Confidences de presse » sur la chaîne publique 2M, mardi 16 avril, l’homme a affirmé être favorable à « l’ouverture d’un débat sérieux » sur ce sujet. Tollé garanti.

Abou Hafs n’est pas n’importe qui. De son vrai nom Mohammed Abdelwahab Rafiqi, cet ancien prédicateur radical de 43 ans a été ­condamné à trente ans de prison après les ­attentats de Casablanca en 2003 (45 morts, dont 12 kamikazes) pour lesquels la mouvance islamiste avait été pointée du doigt. Quelques années plus tard, il avait, depuis sa prison, commencé à faire son mea culpa idéologique et à revenir dans le giron des autorités. Gracié en février 2012 par le roi Mohammed VI, ­il s’affiche désormais dans la lutte contre ­l’extrémisme religieux à travers le centre de réflexion Al-Mizane, qu’il dirige. Personnage très médiatisé, il s’était présenté aux élections ­législatives de 2016 avec le Parti de l’Istiqlal (parti de l’indépendance, conservateur), sans être élu.

« Mur infranchissable »

Ses déclarations sur l’héritage ont été immédiatement condamnées par le courant ­salafiste, et notamment par certains de ses ­anciens camarades. « Comment un aliéné peut affirmer que le droit à l’héritage n’est pas une ­ligne rouge alors qu’il s’agit d’un mur infranchissable ? », a dénoncé Hassan Kettani, figure du ­salafisme marocain. Abou Hafs s’est même vu ­exclure par une organisation des oulémas du Maghreb, basée à Genève. Lui a expliqué avoir reçu des menaces de mort, mais aussi de nombreux messages de soutien sur les ­réseaux sociaux.

Sa position apporte une nouvelle pierre au mouvement pour l’instauration de l’égalité ­entre les sexes en matière d’héritage, dans un pays travaillé par les questions de société. ­Depuis des années, le débat sur l’héritage, ­jusqu’alors largement tabou, ressurgit à intervalles réguliers, et de plus en plus vivement. Deux livres collectifs viennent ainsi de sortir. L’Héritage des femmes (Empreintes, 272 p., 30 euros), sous la direction de la psychologue et écrivaine Siham Benchekroun, réunit des contributions de juristes, de sociologues, de théologiens. Abou Hafs en signe un passage. Un autre ouvrage, coordonné par la ­galeriste et psychanalyste marocaine Hakima Lebbar, est intitulé Les hommes défendent l’égalité en héritage (Fan-Dok). Il réunit uniquement des contributions masculines sur le sujet.

Les autorités marocaines se sont jusqu’ici bien gardées de prendre position sur le sujet, le conservatisme religieux restant très fort dans la société. Fin 2015, le Conseil national des droits de l’homme, un organisme officiel, avait publié un rapport dans lequel il dénonçait une législation « inégalitaire » et ­appelait à « garantir aux femmes les mêmes droits de succession que les hommes ». La ­recommandation avait provoqué une bronca dans les ­milieux conservateurs. Le Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste), à la tête du gouvernement depuis 2012, avait parlé d’« atteinte à l’institution de la commanderie des croyants » et de « violation de la Constitution qui encadre l’égalité homme-femme par les constantes ­religieuses et nationales ».