Maurice Lévy, le président du conseil de surveillance de Publicis. | ERIC PIERMONT / AFP

Publicis a-t-il artificiellement gonflé ses résultats ? C’est le sérieux doute émis par l’un des actionnaires de la société Gouvernance en action, une société de défense des petits porteurs. Son fondateur, Fabrice Rémon, a adressé le 17 mai un courrier à Maurice Lévy, le président du directoire du groupe de publicité, s’étonnant de l’absence dans les comptes de l’entreprise d’une opération financière réalisée avec l’éditeur allemand de logiciels pour entreprises SAP.

Selon l’accord à l’amible, SAP a versé à Publicis 150 millions d’euros à titre de dédommagement.

On apprend par cette lettre que Publicis a connu des déboires avec SAP à l’occasion d’un projet prévoyant la mise en place d’un progiciel de gestion, un système d’information qui permet de suivre au jour le jour l’activité des différentes entités opérationnelles de l’entreprise.

Las, le projet a connu du retard sur plusieurs années, des surcoûts et empêché Publicis de réaliser les économies engendrées par ce genre d’outil. Au point que les deux sociétés ont finalement conclu sous l’égide d’un tribunal arbitral un accord à l’amiable actant un dédommagement au bénéfice de Publicis pour un montant de 150 millions d’euros. La somme, révélée par le courrier de Fabrice Rémon, n’est pas confirmée par Publicis, engagé par une clause de confidentialité.

Un coup de fouet aux marges

L’essentiel du versement – 85 millions d’euros, selon nos informations – a eu lieu au dernier trimestre 2014, le reste ayant été affecté aux exercices 2015 et 2016. Ainsi, la somme encaissée fin 2014 a permis de donner un coup de fouet aux marges, après les surcoûts subis entre 2008 et 2014 en raison des défaillances du projet informatique, reconnaît un proche du dossier. De fait, l’année 2014 s’est bien terminée, une amélioration que le directeur financier avait attribuée en février 2015 à « une amélioration des coûts de management », sans évoquer l’indemnité transactionnelle perçue de la part de SAP.

Pourquoi un tel mystère ? Aucune entreprise n’aime étaler sur la place publique les problèmes qu’elle peut connaître, d’autant que les règlements à l’amiable sont la plupart du temps assortis d’une obligation de discrétion. Ce genre d’affaires est, de fait, particulièrement pénalisante pour SAP, en tant que fournisseur de services. Le document de référence de Publicis de 2014 ne mentionne aucune « procédure judiciaire ou d’arbitrage », dans la mesure où ces sommes n’ont eu aucun effet « significatif sur les résultats ».

Ce manque d’information a pu induire en erreur des actionnaires ayant acheté des titres en février 2015.

C’est pourtant cette discrétion que Fabrice Rémon remet en cause. Invisible dans les comptes, l’opération a été comptabilisée dans le résultat d’exploitation classique et non dans la case « éléments exceptionnels » comme cela aurait dû être le cas, selon lui. Dans un communiqué, Publicis assure que « ce traitement comptable a été validé par les commissaires aux comptes qui ont aussi jugé qu’il n’était pas nécessaire de faire mention de cette information, ni dans les notes annexes aux comptes de l’année 2014 ni dans le rapport de gestion ».

Des performances qui ont dopé le cours de l’action

Problème, avance le fondateur de Gouvernance en action, ce manque d’information a pu induire en erreur des petits porteurs ayant acheté des titres en février 2015. Ces derniers se seraient ainsi appuyés sur la foi de performances nouvelles, mais non réelles. A l’époque, Publicis sortait en effet d’une période difficile après l’échec de la fusion avec Omnicom. Il est vrai que dans la foulée de la publication des résultats, le titre a bondi en Bourse de 12 % en un mois. Depuis, « le cours n’a jamais retrouvé ces niveaux de valorisation », indique le courrier.

Une interprétation qui n’est pas partagée par Publicis, qui attribue aussi cette embellie du cours de Bourse à d’autres facteurs, comme la croissance organique ou les effets de change bénéfiques.

Un dernier événement vient néanmoins jeter le trouble sur cette affaire. C’est précisément à cette époque que Publicis a choisi de racheter à la famille Badinter, premier actionnaire de la société, pour 175 millions d’euros d’actions, au moment donc où le titre était au plus haut. Ce qui a engendré « un surcoût pour les actionnaires de 14 millions d’euros ». Chez Publicis, on rappelle que l’opération était prévue de longue date, et s’inscrivait dans le cadre d’un remboursement d’obligations convertibles.

Fabrice Rémon appelle l’Autorité des marchés financiers (AMF) à se pencher sur le sujet. Il compte aussi évoquer ce sujet lors de l’assemblée générale de Publicis qui se tient le 31 mai prochain.