Donald Trump peut-il être destitué ?
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La presse américaine a connu en une semaine « l’équivalent d’une année entière de scoops et de gros titres », résume le New York Times, le 18 avril. En effet, le président Trump connaît depuis la mi-mai une crise de confiance marquée par trois affaires :

  • il a renvoyé le directeur du FBI, James Comey, le 9 mai, une première depuis 1972. Officiellement, il est reproché à James Comey la gestion de l’affaire des e-mails de Hillary Clinton. De nombreux médias soupçonnent cependant que les enquêtes en cours sur les contacts de Donald Trump avec le gouvernement russe pendant la campagne soient à l’origine de ce renvoi ;
  • il est soupçonné d’avoir partagé des informations classées secret défense sur l’Etat islamique avec la Russie ;
  • enfin, il est soupçonné d’entrave à la justice, sur la base d’un mémo rédigé par James Comey mi-février après un entretien avec M. Trump. Ce document, s’il est avéré, prouverait que le président lui a conseillé d’abandonner l’enquête sur son conseiller à la sécurité – aujourd’hui écarté – Michaël Flynn.

Cette dernière affaire pourrait mener à une procédure de destitution. D’après les médias américains, le mot d’« impeachment » commence à circuler à Washington. Interrogé par Le Monde, l’historien Romain Huret déclare que cette affaire est potentiellement « beaucoup plus grave » que celle du Watergate, qui a conduit à la destitution de Richard Nixon. En revanche, Donald Trump ayant le Congrès avec lui, une destitution est peu probable.

Face à cette série de crises, la presse libérale américaine ne cache pas son inquiétude. Le limogeage de M. Comey est un « grotesque abus de pouvoir », selon Jeffrey Toobin, spécialiste des questions légales, interrogé sur CNN. Dans un éditorial, le New York Times s’inquiète de la suite de l’enquête et, comme nombre d’autres titres, n’accepte pas l’idée d’un limogeage lié à l’affaire Clinton. « M. Comey a été limogé parce qu’il menait une enquête qui pourrait faire tomber un président », assure le journal.

Crier aux « fake news » ou changer de sujet

Mais dans le camp d’en face, celui de la presse conservatrice ou pro-Trump qui a porté le milliardaire au pouvoir, c’est un tout autre son de cloche. Le président Trump peut « trouver refuge à droite », résume le New York Times, où le « jugement collectif » des médias conservateurs, du Parti républicain et des électeurs de M. Trump s’emploie à balayer les soupçons qui pèsent sur le président. Pour cela, plusieurs tactiques, selon le quotidien libéral : le réflexe pavlovien de crier aux « fake news », comme le fait si souvent M. Trump lui-même sur Twitter, désigner un autre coupable ou tout simplement changer de sujet.

Le renvoi de M. Comey y est raconté très différemment. « Selon cette version des faits, M. Comey, un employé aigri et opportuniste renvoyé par M. Trump, est maintenant en train de s’offrir une revanche en délivrant rétroactivement des mémos, rédigés par lui, que personne n’a vus, et qui donnent sa version des événements », résume le New York Times.

Le soupçon des partisans de M. Trump sur la valeur de ce document est redoublé par le fait qu’il n’a pas été divulgué à la presse mais à la commission parlementaire d’investigation (House Committee on Oversight). Sans compter que, pour les médias conservateurs, des accusations basées sur un document rédigé par M. Comey lui-même sont plus que louches.

Dans l’émission Fox & Friends, mercredi matin, l’un des présentateurs faisait part de ses doutes : « est-ce qu’une information est forcément vraie parce qu’elle est écrite quelque part ? », a-t-il demandé.

Lorsqu’il existe un soupçon d’acte criminel, les défenseurs de Donald Trump trouvent le moyen de faire basculer la culpabilité dans l’autre camp, en utilisant un concept popularisé par Steve Bannon, le conseiller stratégique du président : « deep state », « l’état profond », soit le vaste réseau de fonctionnaires de la bureaucratie fédérale, qui « conspire » contre Trump et fait fuiter des informations destinées à lui nuire. « Rien de tout cela n’a de rapport avec le sujet », résume The Ringer.

Les médias sont évidemment les premiers complices de ce complot contre le président. Sean Hannity, un présentateur star de la chaîne Fox News, a consacré toute sa semaine aux affaires de Donald Trump, explique The Ringer. Mais en retournant systématiquement la situation, à grand renfort d’interventions d’invités pro-Trump. Il décrivait mercredi à l’antenne une « alliance pour détruire Trump ». La veille, il interrogeait en direct un ancien rédacteur du site Breitbart News, proche de l’extrême droite et fondé par Steve Bannon. Sebastian Gorka demandait alors : « Quand est-ce que tout cela va cesser ? (…) Quand va-t-on arrêter de mettre en danger la sécurité nationale et faire du vrai journalisme ? »

La hiérarchisation de l’information dans les médias libéraux est également source de soupçons. Le meurtre de Seth Rich, un employé du Comité national démocrate (DNC) en juillet est à l’origine d’une théorie du complot. Un détective privé employé par la famille a déclaré sur une chaîne locale de la Fox qu’il avait trouvé des « preuves tangibles » que le jeune homme avait contacté WikiLeaks avant sa mort, une déclaration non étayée et suivie d’autres affirmations contradictoires du détective dans les médias. La famille du jeune homme a nié ces allégations et demandé des excuses à la Fox. Mais pour plusieurs médias conservateurs, dont Fox News et Infowars, la presse libérale veut enterrer cette histoire, et préfère s’acharner sur M. Trump à la place.

Les partisans de Donald Trump confortés

A l’échelle des électeurs, chacune des allégations contre M. Trump nourrit la rhétorique du président : c’est « eux contre nous ». Les médias, en collusion avec l’élite politique que M. Trump s’est promis de démettre, conspirent à lui nuire. Le 17 mai, le président s’est plaint devant un parterre d’étudiants : « Regardez comment j’ai été traité récemment, en particulier par les médias. Aucun homme politique n’avait été aussi maltraité au cours de l’histoire. » Le 18 mai, M. Trump s’est emparé de Twitter pour dénoncer une « chasse aux sorcières » contre lui à la suite de la nomination d’un procureur spécial chargé d’enquêter sur ses liens avec la Russie.

Un stratège républicain interrogé par le New York Times, Alex Castellanos, explique que les électeurs de M. Trump, qui souhaitaient voir renversé le « système », ne vivent pas les allégations contre Trump comme une preuve qu’ils se sont trompés, bien au contraire. « Quand il est agressé, cela valide l’idée auprès de ses soutiens qu’il est le seul à pouvoir nous protéger de l’élite médiatique », explique-t-il. Pour la plupart des loyalistes, la question n’est pas de savoir si la présidence Trump est chaotique ou non, mais de savoir si quelqu’un d’autre pourrait changer les choses aussi drastiquement qu’il a promis de le faire.

Enfin, une frange des soutiens de M. Trump tente de contrer les attaques. Sur la section du forum Reddit r/The_Donald, qui concentre les plus fervents militants numériques de M. Trump, on ne fait pas mention des scandales en cours. On préfère « allumer des contre-feux médiatiques », comme le rapportent nos confrères de France Info, en nourrissant l’affaire Seth Rich, le militant du DNC mort au mois de juillet. Pour eux, la collusion entre deux révélations, le 15 mai, ne laisse aucun doute : le même jour, le détective avançait les « preuves » des liens du jeune homme avec WikiLeaks et le Washington Post révélait que M. Trump aurait communiqué des informations confidentielles à la Russie. Une « diversion » pour les internautes de r/The_Donald.