Les antinucléaires lors d'une visite du bois Lejuc près du village de Bure (Meuse), le 4 janvier. | Mathieu Cugnot

C’est, après celui de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique), un nouveau dossier empoisonné qui arrive sur la table du ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot. Il s’agit du projet de Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) destiné à enfouir, près de la commune de Bure (Meuse), les déchets radioactifs français les plus dangereux. La future « poubelle nucléaire », comme l’appellent ses détracteurs, est devenue un abcès de fixation pour les écologistes.

Jeudi 18 mai au soir, les opposants à cette installation ont essuyé un revers. Au terme d’un conseil municipal sous haute tension, placé sous la protection d’un déploiement massif de gendarmes mobiles repoussant des manifestants à l’aide de gaz lacrymogènes, les élus de la commune meusienne de Mandres-en-Barrois ont confirmé la cession à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), qui porte ce projet, d’une forêt de 220 hectares, le bois Lejuc. Un emplacement stratégique, puisque c’est là que doivent être forés les puits permettant de creuser les 15 km2 de galeries souterraines où 85 000 m3 de produits à haute activité et à vie longue devront rester confinés pendant des millénaires.

Nouveaux recours

Cette parcelle forestière avait été cédée à l’Andra en échange d’un autre bois à la suite d’une délibération du conseil municipal de Mandres-en-Barrois, le 2 juillet 2015. Mais des habitants avaient contesté devant la justice ce vote. Le 28 février, le tribunal administratif de Nancy leur a donné raison. Il a annulé la délibération pour « vice de procédure » et accordé un délai de quatre mois à la commune pour régulariser la situation. Ce qui a été fait, jeudi soir, par un vote extrêmement serré de six voix contre cinq.

Pour le maître d’ouvrage du centre d’enfouissement, la voie se dégage donc. En cas de vote négatif, le projet Cigéo n’aurait pas été stoppé pour autant. L’Andra dipose d’une réserve foncière de 3 000 hectares qui lui aurait permis de « délocaliser » les travaux vers un site voisin. Mais elle aurait dû reprendre à zéro les sondages géologiques qu’elle a déjà réalisés pour préparer son dossier de demande d’autorisation de création de l’installation, ce qui aurait sans doute entraîné un retard dans le calendrier qu’elle s’est fixé. Son objectif est de déposer cette demande au cours du deuxième semestre de 2018. Après enquête publique, le chantier de construction pourrait débuter en 2021, pour une mise en service en 2025.

« Nous allons maintenant poursuivre les études dans les mois à venir, sans précipitation et dans un esprit d’apaisement », réagit l’Andra, selon laquelle ce vote démontre « qu’il s’agit bien d’un projet d’intérêt général soutenu par le territoire ».

Fin de l’histoire ? Les anti-Cigéo ont aussitôt annoncé qu’ils allaient déposer des recours contre ce vote, plusieurs élus, dont le maire de Mandres-en-Barrois, Xavier Levet, se trouvant selon eux en situation de conflit d’intérêts, parce que des membres de leur famille travaillent pour l’Andra ou ont obtenu de celle-ci des baux agricoles ou de chasse. « La démocratie est bafouée », accuse un jeune résident de la « maison de la résistance de Bure », qui rappelle qu’en 2013, lors d’un référendum local, les habitants de Mandres-en-Barrois avaient refusé la cession du bois. « L’Etat fait reposer sur les élus d’un petit village rural la responsabilité de l’un des plus titanesques projets européens », dénonce-t-il.

Rassemblement

Le conflit est loin d’être terminé. Depuis l’été 2016, le bois Lejuc a été presque continûment occupé par des antinucléaires qui y ont construit des cabanes et qui sont aujourd’hui plusieurs dizaines à y avoir pris leurs quartiers. Le 26 avril, le tribunal de Bar-le-Duc a ordonné leur « expulsion sans délai ». Mais les anti-Cigéo ont aussitôt appelé, en cas d’évacuation par les forces de l’ordre, à « une manifestation de réoccupation » deux semaines plus tard.

A Bure, avec les opposants au « cimetière radioactif »

Ils sont soutenus par le réseau Sortir du nucléaire et plusieurs collectifs locaux. Des habitants de Mandres-en-Barrois ont aussi pris position en leur faveur, prévenant : « Ce bois est notre forêt communale. Si l’Etat décide d’expulser, c’est le village de Mandres-en-Barrois qu’il expulse. Nous ne resterons pas les bras croisés ! »

Bure pourrait ainsi devenir, pour le nouveau gouvernement, un foyer de contestation environnementale difficile à gérer. Le « premier point de crispation du quinquennat d’Emmanuel Macron », avertissent les opposants. En janvier 2016, sur le plateau d’i-Télé, Nicolas Hulot déclarait : « Ces déchets, il faut bien en faire quelque chose mais, en tout cas, on ne peut pas imposer comme ça [ce projet] à des populations locales, sous prétexte qu’[elles] sont dans des endroits un peu éloignés (…), sans concertation, sans transparence. » Il ajoutait : « Le temps de la concertation, de la démocratie participative, est nécessaire. »

Pour l’heure, un rassemblement contre « la nucléarisation » du Grand-Est est annoncé samedi 20 mai à Saint-Dizier (Haute-Marne). Et une semaine d’action à Bure du 19 au 26 juin.