ACID

Sale et belle histoire que celle de ce documentaire, que l’on aime d’un amour inconditionnel. Christophe Agou, son auteur, photographe français installé à New York, est mort à l’âge de 45 ans, juste après en avoir terminé le montage. Porté par son producteur, Pierre Vinour, le film arrive aujourd’hui dans la « petite » section de l’ACID, bien acide en apparence, mais si touchant, si aimant, si doux au fond.

Il s’agit du monde paysan, un monde que le réalisateur connaissait bien, pour être originaire du Forez, en Auvergne, où se déroule son film, et pour lui avoir déjà consacré, à travers la photographie, une exposition intitulée Face au silence. De ce pays enchanté qui accueille le roman des romans français (L’Astrée, d’Hono­ré d’Urfé), Christophe Agou ramène la truculente et poétique chronique d’une fin de partie, pour ne pas parler trop crûment d’engloutissement pur et simple.

Disons, pour mettre les choses au clair, que Sans adieu peut être défini comme une version trash des canoniques Profils paysans, de Raymond Depardon. Le film puise plutôt dans la férocité ­surréelle de Terre sans pain (1932), de Luis Buñuel, et dans l’onirisme planant du Génie des alpages, du dessinateur F’murr. En un mot, les paysans d’Agou ne ressemblent pas aux modèles qu’on connaît : taiseux, dignes, durs au mal. Tout le contraire. On les découvre ici logor­rhéiques, colériques, râleurs, d’au­tant plus vivants qu’ils savent qu’ils vont mourir.

Sainte auréolée de mouches

Le film, qui n’est rien d’autre que la chronique de l’apocalypse quotidienne du petit paysan, est construit, sans entretien ni commentaire, autour du personnage central de Claudette, 75 ans, fin de carrière, phénoménale. Furibarde, crasseuse, malade, injuriant son chien Titi du matin au soir, frappant ses oies, nourrissant ses poules dans une épave de Citroën, elle mène, tout affect dehors et d’une voix de crécelle, une guerre sainte contre le sadisme de l’administration et la stupidité de la télévision. Autant dire qu’à l’époque où l’hygiénisme et le cynisme se tiennent la main, on est à fond avec cette sainte auréolée de mouches.

La charge n’est ici supportable qu’à la condition de l’amour

La charge n’est ici supportable qu’à la condition de l’amour. Les moments abondent dans le film d’une poignante effusion entre la caméra et les personnages, d’une attention scrupuleuse à ce que peut contenir de poésie la plus plate trivialité. Ces personnages qui tous perdent inéluc­tablement ce qu’ils ont de plus ­intime et de plus précieux, qui constatent l’inadéquation de leur labeur avec la société qui les entoure, qui voient autour d’eux le monde se dépeupler et se désolidariser, évidemment nous ressemblent. Ils sont notre destin même, et leur vitalité ne nous émeut que davantage.

« Sans adieu », nous précise-t-on, étaient les mots que prononçait Claudette à chaque fois que Christophe retournait aux Etats-Unis. Une sorte de conjuration pour être sûre de le revoir. Comme elle lui offrait ces mots, il lui a offert son film, échangeant de la chaleur avant le grand départ.

EXTRAIT - SANS ADIEU de Christophe Agou (ACID CANNES 2017)

Documentaire français de Christophe Agou (1 h 39). Sortie en salles prochainement. Sur le Web : www.new-story.eu/films/sans-adieu