Jaden Michael et Millicent Simmonds, les jeunes acteurs de « Wonderstruck », à Cannes, le 18 mai 2017. | STEPHAN VANFLETEREN POUR « LE MONDE »

Sélection officielle – en compétition

Ce sera peut-être la plus belle idée du Festival : le désespoir d’une petite fille sourde, qui ne brise sa solitude qu’en allant au cinéma, celui de 1927, à l’annonce de l’arrivée du parlant. À peine effleurée, cette notion prend la forme d’une phrase qui se forme à la marquise d’une salle, et d’un plan sur la jeune spectatrice, filmée en noir et blanc. C’est l’un des moments que promet le titre du film de Todd Haynes présenté le 18 mai en compétition, Wonderstruck : émerveillé en français. Il y en aura d’autres au long de ces deux heures de projection, sans que cette collection forme tout à fait la grande œuvre cinématographique destinée aux enfants à laquelle aspirait sans doute le cinéaste, à l’instar de Terry Gilliam avec Bandits, bandits ou Martin Scorsese avec Hugo Cabret.

Wonderstruck est justement tiré d’un livre de l’écrivain et illustrateur Brian Selznick, l’auteur d’Hugo Cabret. Comme dans l’histoire du petit garçon caché dans l’horloge de la gare de l’Est, on y retrouvera des orphelins, des cachettes merveilleuses et le cinéma. Le récit va et vient entre 1976 et 1927, entre l’année de Taxi Driver et celle de L’Aurore.

Le récit va et vient entre 1976 et 1927, entre l’année de « Taxi Driver » et celle de « L’Aurore »

Sous Jimmy Carter, Ben (Oakes Fegley) n’en finit pas de faire le deuil de sa mère (Michelle Williams), bibliothécaire d’une ­petite ville du nord du Minnesota (là où est né Bob Dylan). Il s’enfuit vers New York pour trouver le père qu’il n’a jamais connu. Un demi-siècle auparavant, à Hoboken, New Jersey (ville natale de Frank Sinatra), Rose (Millicent Simmonds) vit avec un père peu aimant, et ne voit sa mère Lillian Mayhew (Julianne Moore) que sur l’écran du cinéma local. Lillian est une vedette qui ne se soucie de ses enfants que lorsque le scénario l’y oblige. Pour vaincre cette indifférence, Rose franchit l’Hudson et force l’entrée du théâtre où Lillian se produit. Par-delà les années, les deux enfants ont en partage la surdité (celle de Ben est récente), la solitude. Le scénario (de Brian Selznick lui-même) multiplie ensuite les signes d’une communauté de destin, qui se dévoilera tout à fait dans un dénouement dickensien.

Todd Haynes observe les règles du récit enfantin : chaque épisode est détaillé afin que rien, des motivations, des aspirations et des regrets des personnages, n’échappe aux plus jeunes des spectateurs. Ce souci de clarté, ainsi que le constant va-et-vient entre les deux époques, ralentit le film, fait parfois regretter l’amour de l’ambiguïté et du non-dit que le réalisateur a pratiqué avec tant de virtuosité dans ses films pour les grands.

Jaden Michael, l’un des deux jeunes acteurs de « Wonderstruck », à Cannes, le 18 mai 2017. | STEPHAN VANFLETEREN POUR LE MONDE

Amour des cinémas

En guise de compensation, cette simplicité ménage de vastes espaces à d’autres penchants de Todd Haynes, à commencer par son amour des cinémas qui sont venus avant le sien. Les tribulations de Rose sont filmées en noir et blanc, sans paroles, avec quelques cartons et une très belle partition symphonique de Carter Burwell. Celles de Ben visent à redonner vie au New York sale et énergique de 1977. Avec son chef opérateur Ed Lachman, il fait de cette cité grouillante – qui, dans l’histoire officielle, a pris les traits d’une verrue qu’il a fallu extirper – un terrain de jeux, dangereux et excitant, offrant à Ben et à Jamie (Jaden Michael), son ami du Queens, d’infinies possibilités.

Et puis il y a ces dispositifs étranges, qui se tiennent à la lisière du cinéma, et surgissent sans cesse au long de Wonderstruck : les dioramas du Musée d’histoire naturelle, le gigantesque plan en relief créé pour l’exposition universelle de 1964 et exposé au Musée de Queens, un cabinet de curiosités. Todd Haynes passe en revue tous ces sortilèges inventés avant le cinéma, pour que la mémoire ne repose pas seulement sur les mots. Il fait sien ce penchant pour la miniaturisation du passé : parmi les moments d’émerveillement, il y a ces flash-back mis en scène avec des figurines, qui sont aussi le souvenir d’un des premiers films de Todd Haynes, Superstar (1989), qui mettait en scène le triste destin de la chanteuse Karen Carpenter avec, pour acteurs, des poupées Barbie. Les regrets et les remords ont cédé la place aux découvertes et aux espoirs de l’enfance.

Wonderstruck Movie Clip (2017) | Movieclips Coming Soon

Film américain de Todd Haynes avec Oakes Fegley, Millicent Simmonds, Jaden Michael, Michelle Williams, Julianne Moore (1 h 57). Sortie en salles le 1er novembre.