Avec son large sourire, ses cheveux blancs et sa bonne réputation, il a longtemps inspiré confiance. Jan Karbaat, pionnier de la procréation médicalement assistée aux Pays-Bas, n’était-il, en fait, qu’un médecin à l’esprit dérangé, convaincu qu’il était sur terre pour partager ses gènes et son intelligence avec une vaste descendance ? Il aurait, en tout cas, inséminé avec son propre sperme – et non celui de donneurs, anonymes ou non – des dizaines de femmes. A l’une d’entre elles, il aurait même affirmé qu’il était le père biologique de 60 enfants.

Vingt-trois de ces enfants s’interrogeant sur leur paternité attendent désormais, avec beaucoup d’impatience, un jugement annoncé pour le 2 juin par le tribunal civil de Rotterdam. Ils réclament un prélèvement d’ADN qui déterminerait si, oui ou non, l’ancien directeur de la clinique Bijdorp, à Barendrecht, près de Rotterdam, est leur père. Problème : M. Karbaat est décédé en avril, et ses proches s’opposent farouchement à une exhumation.

Il y a quelques semaines, sept policiers ont donc débarqué au domicile de Rita Karbaat, l’épouse du médecin, pour saisir une série d’objets ayant appartenu à son mari. L’avocate de la famille a introduit un recours pour obtenir la restitution immédiate d’une brosse à dents, d’une tondeuse ou de linge de corps ayant appartenu au médecin. Affirmant comprendre que les plaignants se posent des questions, la représentante légale de Mme Karbaat estime qu’ils doivent toutefois considérer que « le don de sperme s’accompagne parfois d’incertitude ». L’avocate affirme également que la famille du défunt a le droit au respect de « sa vie privée ».

« Le sentiment d’avoir été violées »

Moniek Wassenaar, elle, est certaine de ce que M. Karbaat lui a un jour avoué au début de 2011 : autour d’une tasse de thé, le vieux médecin lui a, dit-elle, déclaré fièrement qu’il était sans doute son père biologique, et celui de beaucoup d’autres enfants. « Il n’avait aucune notion d’éthique et banalisait l’impact pour ces enfants-éprouvettes », a expliqué Mme Wassenaar à des journalistes. Rita Karbaat aurait assisté à cette conversation, mais affirme ne plus s’en souvenir.

D’autres mères, parmi les milliers qui sont passées par la clinique Bijdorp dans les années 1980 et 1990, affirment qu’au moment de l’insémination, le médecin s’absentait quelques minutes pour aller chercher « du sperme frais » dans une pièce attenante. Elles soupçonnent qu’en réalité il se masturbait pour leur inséminer sa propre semence, et non celle du donneur. « Une image terrible, qui explique que certaines de ces femmes ont en fait le sentiment d’avoir été violées », explique MTim Bueters, l’avocat de certaines plaignantes.

L’affaire jette d’autant plus le trouble que les Pays-Bas ont été confrontés, à la fin de 2016, à un autre dossier retentissant portant sur des fécondations in vitro. Le centre médical universitaire d’Utrecht a lancé une enquête sur une possible erreur de procédure qui aurait abouti à ce que 26 patientes soient inséminées avec le sperme d’un autre homme que leur conjoint. Les faits se seraient produits entre avril 2015 et novembre 2016. L’institution a promis de faire « toute la lumière » sur ces erreurs, alors que plusieurs femmes ont, depuis, accouché.

La clinique du DKarbaat avait, elle, été fermée en 2009, à la suite de la découverte d’une série d’irrégularités administratives et de trucages. Le médecin avait aussi contourné la loi qui fixe à six maximum le nombre d’enfants par donneur.