« Strafe », jeu aux mécaniques assez modernes, propose néanmoins des graphismes très rétro. | Devolver

Strafe est un jeu vidéo de tir sorti le 9 mai 2017. S’il apparaît nécessaire de préciser l’année, c’est que ce titre disponible sur PC et PlayStation 4 ressemble à s’y méprendre à un jeu des années 1990, sorte de chaînon manquant entre les deux vénérables rois du genre, Doom et Quake.

Ce n’est pas nouveau : le jeu vidéo est souvent affaire de recyclage. Les jeux à petit budget en particulier sont friands de gros pixels dans le plus pur style fin du XXe siècle : quitte à paraître fauché, autant le faire exprès, en convoquant l’esthétique nostalgique d’une époque où rien n’était très beau mais où l’on pardonnait beaucoup. Le « pixel art » est même devenu une forme d’expression artistique en soi, avec ses maîtres et ses chefs-d’œuvre.

En revanche, si les modes vestimentaires ou musicales n’ont pas peur de revisiter la coupe mulet ou l’eurodance, la mode, dans les jeux vidéo, a son tabou : les polygones des vieux jeux en 3D, très chics au mitan des années 1990, mais qui blessent aujourd’hui le goût des esthètes même les plus conciliants. Pourtant, comme le démontre Strafe, cela est en train de changer.

La rencontre de deux mondes

C’est Minecraft qui, le premier, a fait trembler les portes qui jusque-là interdisaient à l’esthétique 3D rétro de faire son retour. Entre 2009 et 2011, tandis que se construit le culte autour de ce jeu depuis cent fois millionnaire, l’Internet gamer ne bruisse alors que d’une question : comment un jeu aussi vilain peut-il se vendre autant ? Qu’importe : il crée un précédent. Sans même parler des copies conformes de Minecraft, des titres comme Delver, Eldritch ou One More Dungeon s’inspireront de son radicalisme graphique.

« Paranautical Activity », l’un des premiers jeux modernes à s’être autant inspiré des anciens. | Digerati Distribution

Quelques années plus tard, c’est la mode des « rogue-like » qui fait frissonner les amateurs de jeux vidéo indépendants : dans ce genre lui aussi très rétro, le joueur est confronté à des challenges aléatoires de plus en plus difficiles. Appliqué au jeu de tir, il devient une façon de ressusciter l’esprit des jeux anciens, ceux qui exigeaient nervosité, précision et adresse. C’est le cas par exemple de Drunken Robot Pornography ou de Tower of Guns.

Mais c’est évidemment la rencontre de ces deux phénomènes, de la forme et du fond, qui va donner naissance aux jeux qui nous intéressent. Le très cubique Paranautical Activity, ou le furieusement fluo Heavy Bullets, s’ils ne reprennent pas stricto sensu les codes des jeux des années 1990, sont des purs jeux de tir qui s’inspirent en tout cas de l’esthétique de l’époque.

Le souvenir qu’on en a

Strafe est leur descendant direct et partage d’ailleurs bien des similarités avec Heavy Bullets, édité lui aussi chez Devolver.

A ceci près que Strafe, lui, reprend, polygone pour polygone, le style graphique d’un jeu comme Quake. Même son site Internet (strafe1996.com) et ses pubs ont l’air d’avoir vingt ans, et, sur Steam, son argumentaire commercial promet « la bande-son la plus incroyable de l’année 1996 ».

STRAFE - Launch Trailer

Comme si, en portant comme un étendard cette esthétique approximative, il semblait promettre au joueur qu’il y retrouvera un peu de l’esprit punk d’une industrie qui s’est depuis longtemps assagie.

Et de fait, Strafe est effectivement un jeu extrêmement rapide et exigeant. A aucun moment, il ne tente de raconter quoi que ce soit, confrontant seulement le joueur à des vagues d’ennemies toujours plus imposantes, à une jauge de santé vacillante et à des armes aussi irréalistes que défoulantes – dans la lignée du fameux « railgun » de Quake III. Il propose en outre une maniabilité remise au goût du jour et des niveaux générés aléatoirement, pour un défi toujours renouvelé.

Surtout, derrière son look ancien se cache en vérité un moteur graphique moderne, permettant à Strafe de moins ressembler à ce qu’était véritablement Quake qu’au souvenir qu’on en a.

Le jeu comme une ascèse

Dans le sillage de Strafe, il y a aussi les jeux nouveaux qui assument de n’être que des vieilleries. D’étranges exercices de style, qui revêtent les atours des jeux d’antan jusque dans leurs défauts d’époque, sans même faire mine de rafraîchir une recette devenue indigeste.

« Intrude », sorti en 2016, aurait aussi bien pu être un jeu de 1993. | Michal Kruba

La vanité de la démarche est d’autant plus absurde qu’il est aujourd’hui possible, pour développer par exemple un clone de Doom, de se servir directement du moteur du jeu, devenu logiciel libre en 1999 : n’importe qui a depuis la bénédiction de ses concepteurs d’en faire des modifications. Des jeux tellement vains donc que, nécessairement, ils en deviennent assez fascinants.

C’est le cas de jeux comme Intrude, plaisant clone de Doom en plus minimaliste encore ; de Minimized, qui fait semble faire se percuter les univers du jeu Black Stone et du film Tron ; de Merger 3D, qu’on croirait être une suite non officielle de Wolfenstein 3D, d’Autumn Night 3D Shooter, héritier évident du premier Heretic, ou encore de Dusk, prévu courant 2017 et clone assumé de Quake.

En réduisant le jeu de tir à sa plus simple expression, « Devil Daggers » a finalement inventé un nouveau genre. | Sorath

Et puis il y a Devil Daggers. Lui aussi fils spirituel de Quake, il en a paradoxalement révolutionné le principe non pas en le modernisant, mais en le dépouillant au contraire jusqu’à l’os.

En proposant des arènes vides plutôt que des niveaux complexes, et en débarrassant le jeu de ses armes (on « tire » simplement du feu du bout des doigts, comme une sorte de magicien), ce jeu sorti en 2016 a inventé une manière nouvelle de jeu de tir, envisagé comme une ascèse. Preuve qu’il reste des choses à inventer dans le jeu vidéo, y compris en regardant dans le rétro.