Autoportrait de Luz façon David Bowie, inspiré de la pochette du disque « Heroes », réalisée en 1977 par le photographe japonais Masayoshi Sukita. | LUZ POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

Sans le goût de la provocation, Renaud Luzier ne serait jamais devenu Luz. Dessinateur emblématique de Charlie Hebdo, arrivé en retard à la réunion de rédaction du 7 janvier 2015, échappant ainsi à l’attentat, il avait raconté sa condition de survivant dans Catharsis (éditions Futuropolis, 128 p.), en mai 2015. En avril 2016, quelques mois après avoir quitté l’hebdomadaire satirique, il s’emparait du texte Ô vous, frères humains, d’Albert Cohen.

Le caricaturiste de 45 ans voulait retrouver un peu de légèreté en regroupant dans une anthologie grand format les croquis de concerts qu’il fréquente depuis vingt ans, réalisés pour Charlie Hebdo, Les Inrocks, Tsugi ou des fanzines, et auxquels ont été ajoutés des dessins récents. Mais plus rien ne sera vraiment comme avant pour Luz, et son ouvrage Alive, prend autant une tournure musicale que personnelle.

« Un bouquin de combat »

« J’ai voulu laisser tomber tout ce que j’avais en route, pour transformer ce livre sur la musique en un bouquin de combat, de vie », explique-t-il au téléphone, depuis un endroit gardé secret et sous protection policière.

« Musique et dessin sont vite devenus aussi essentiels qu’une respiration. La musique comme inspiration, le dessin comme expiration »

Dessins d’humour, portraits, anecdotes biographiques, reportages…, tout, dans Alive, vibre d’une grande connaissance et d’une longue pratique de l’effervescence électrique. Initié dès son plus jeune âge par des parents à l’imposante discothèque pop, l’ex-Tourangeau n’a cessé de baigner dans ces références.

« Musique et dessin sont vite devenus aussi essentiels qu’une respiration, insiste Luz. La musique comme inspiration, le dessin comme expiration. » Si le rock est d’abord la bande-son des heures de travail comme de repos, il finit par devenir, à l’aube des années 2000, le sujet même de ses dessins.

« Je lui devais bien ça », s’amuse Luz qui, avec le Suisse Kid Chocolat, a aussi enregistré quelques titres d’électro-rock sous le nom des Scribblers. « J’ai passé ma vie à dessiner “contre”, constate Luz. Contre l’extrême droite, le libéralisme, la bêtise, la religion… Là, je me suis décidé à écrire “pour” la musique. »

Les musiciens, sources d’inspiration

Mettant parfois de côté sa verve de caricaturiste, Luz s’est fait reporter, croquant sur le vif les concerts, ambiances, publics et coulisses de festivals comme les Trans Musicales de Rennes, Astropolis, les Eurockéennes de Belfort ou le Fury Fest. En 2005, pour cette grand-messe du heavy metal organisée au Mans (Sarthe), il avait embarqué ses amis dessinateurs Charb (fan de Dead Kennedys), Riss (dingue de Motörhead) et convaincu Philippe Val, alors rédacteur en chef de Charlie Hebdo, de publier trois pages de compte-rendu.

« Les festivals sont un des rares endroits, non religieux, de vivre-ensemble », analyse le dessinateur, qui confie avoir connu ses premiers émois politiques, sexuels, autant que musicaux, en découvrant, gamin, le film Woodstock (1970). « Alors que l’époque était aux corbeaux fans de Cure, j’étais fasciné par ces trois jours d’août 1969 où près de 500 000 personnes communiaient pacifiquement. J’ai d’ailleurs encore pleuré en le regardant, il y a quelques mois. »

Si Alive ne manque pas d’humour, ni du mauvais esprit qui a fait la réputation de son auteur – les caricatures des Libertines de Pete Doherty ou celles de pontes de l’industrie phonographique –, ces planches témoignent surtout du don d’observation du reporter et de l’intensité graphique de dessins saisis au cœur de furieux concerts.

« J’ai beaucoup appris de Cabu qui était capable de dessiner dans les conditions les plus inconfortables », rappelle Luz. « Dans le cyclone du concert, tu te laisses envelopper par ce qui t’entoure et ce que tu dessines tient plus de la perception rétinienne que de la netteté de l’observation », ajoute celui qui reconnaît avoir plus d’une fois crayonné en plein dérèglement des sens.

Les musiciens sont, bien sûr, d’inépuisables sources d’inspiration. Les silhouettes, poses et corps en mouvement de célébrités (Lemmy Kilmister de Motörhead, Jarvis Cocker de Pulp, PJ Harvey…), comme celles de dizaines de militants underground, électrisent ces pages.

« L’impression de vivre dans une quatrième dimension »

Luz ne cache pas ses modèles préférés : « Iggy Pop est le plus génial à dessiner. Il est lui-même un trait, une liane, un inattendu permanent. » Autre artiste fétiche, Beth Ditto, qui fut la volcanique chanteuse du groupe Gossip, dissous en 2016. « Petite, tout en rondeur, elle est physiquement à l’opposé d’Iggy, mais elle chante et bouge comme une explosion en continu. »

Extrait de l’ouvrage de Luz, « Alive ». | EDITIONS FUTUROPOLIS

Régulièrement, ces chroniques des déluges soniques sont interrompues par de tendres apartés où Luz se met en scène avec sa fille, née en 2015. On y voit le papa tenter de faire partager à son bébé sa passion du rock. Une façon de s’interroger sur la transmission, sur l’avenir de cette musique et les risques, pour les éternels ados, de finir « vieux cons ».

Ces moments de complicité, qui sont les dessins les plus récents du livre, témoignent aussi d’une vie désormais éloignée de l’excitation des concerts et de la vie sociale. S’il assure ne pas avoir voulu publier une œuvre nostalgique, Luz avoue aussi avoir ressenti un « gros coup de blues » en mettant la dernière main à Alive. « J’ai plein de cahiers vierges… », confie-t-il, en évoquant ceux qui lui servaient à croquer ses extases musicales.

« J’espère que les choses vont se tasser, que je pourrais reprendre un jour une vie normale et retourner voir des concerts. Pour l’instant, j’ai encore l’impression de vivre dans une quatrième dimension. » De la même façon qu’il a refusé d’aller au Festival de la bande dessinée d’Angoulême, car il n’était pas question pour lui d’y assister entouré de policiers. « J’y retournerai libre dans ma tête et entre les oreilles. »

« Alive », de Luz, Futuropolis, 400 pages, 36 €, ou édition cartonnée en tirage limité signé par l’auteur, 45 €.